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Toutes les recherches de Clémence et Cheyd pour retrouver la trace de Tibo ou de Louvain aboutissaient à du néant. Ils étaient munis d'une tablette marquée du sceau royal, toutes les maisons s'ouvraient, les langues se déliaient, mais cela n'avait servi à rien. Ils connaissaient désormais la population sous-les-murs, les jardiniers, les porteurs d'eau, la garde de nuit, les lavandières et les paysans de la place du marché. La porte des princes n'avait plus de mystères pour eux. Ils avaient parcouru les moindres ruelles, visité les entrepôts sur l'autre rive du grand canal, soulevé toutes les briques, questionné prêtres, marchands, serviteurs et esclaves.

La quête des traqueurs n'était un secret pour personne. Tout le palais suivait les efforts de la Shangaïn au crâne rasé. Personne ne connaissait le frère absent, mais l'autre disparition, celle du garçon aux guépards, avait marqué tous les esprits. Tant de gens s'évaporaient de la surface de la Terre ! Chez les al Khali plus qu'ailleurs. Ils s'évanouissaient dans la nature, on les retrouvait dans le canal, ou ils se suicidaient.

Clémence en perdait son optimisme, la patience de Cheyd faisait place à une lassitude écrasée par la chaleur. Ils dormaient dans l'une des alcôves de l'atelier de Mani. Le corps poisseux, l'humeur irritable, ils se retournaient sans trouver le sommeil. Les bruits de la cour des artisans les tenaient éveillés. Le désir s'était aussi embourbé dans la lourdeur de la cité. C'est à peine si Cheyd caressait le ventre rebondi de Clémence quand elle passait devant lui. Une nuit que son membre se dressait par un trop plein de chaleur, il voulut se coucher sur elle, mais elle l'avait repoussé :

– Je n'ai pas la tête à ça, fesses de babouin.

Ils avaient déniché une piste qui pointait vers les tanneries. Ils avaient recueilli méticuleusement des indices qui auraient dû les amener à Tibo. À l'aube, ce jour-là, ils découvrirent non pas leur disparu, mais un fuyard originaire d'une tribu des montagnes dominant la rivière Karkheh. Les bras plongés dans un bassin de chaux vive, il sifflait pour éloigner les mauvais esprits des pelages qu'il malaxait. Pris de hauts-le-cœur, Clémence et Cheyd retournèrent vers le palais. Au luxe de celui-ci, se superposaient les images des tanneurs foulant de leurs pieds nus les peaux qui macéraient dans des réservoirs pleins de vers et de fiente. Le soleil atteignait à peine la cour des artisans, mais déjà un ramdam les attendait devant l'atelier sous le mimosa.

– Ah ! Cheyd, Clémence, leur lança Mani. Je déménage pour Qish. Les allers-retours me prennent trop de temps.

– Qish ? fit écho Clémence.

– Il faut que je m'assure que tous les Sans-Terres soient approvisionnés en eau.

– Un Shangaïn va au ruisseau, il n'amène pas le ruisseau jusqu'à sa tente, dit Cheyd, sentencieux, avant de disparaître à l'intérieur.

Mani voulut s'expliquer, mais il fut interrompu par l'arrivée d'Aga Saĝĝu. Le Grand-Prêtre poussait un couple devant lui. Une femme trapue assortie à un escogriffe dégingandé exécutèrent une courbette.

– Voici ta nouvelle cuisinière-boulangère, annonça Aga Saĝĝu. Elle brassera aussi ta bière. Son compagnon s'occupera des menus travaux et soignera tes deux mules.

– Mes deux mules  ?

– Cadeau de Sa Sublime. Elles t'attendent à Qish, dans la ferme de Zak al Khali. Dès que ta demeure sera achevée, elles y seront transférées.

Ma demeure ? s'étrangla Mani.

Aga Saĝĝu lui expliqua avec la mine d'un chat devant un bol de lait :

– J'ai suggéré au roi que l'In-genus ait sa propre maison, pour y travailler en paix. Un geste magnanime. Un remerciement pour le Six-Bras. Un signe de gratitude pour les solutions apportées face à la rébellion. Zak al Khali a proposé les terres jouxtant sa ferme, le long du canal.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant