11

4 4 0
                                    

Zak al Khali encourageait son étalon :

– Yah! Yah!

Gavra, calée contre la poitrine du vieux marchand, ne comprenait que trop bien l'attraction de Louvain pour les folles chevauchées. Le vent fouettait son visage, la vitesse l'enivrait. À demi couchée sur Shamal, elle baignait dans une étrange intimité entre l'homme et sa monture. Le moindre désir du maître se communiquait au cheval par des mouvements imperceptibles. Elle faisait de son mieux pour se fondre entre les deux. Dans un coin de son esprit, elle s'imaginait chevaucher avec Louvain, ça la chamboulait.

Simoon galopait derrière Shamal en secouant sa crinière. Ils fonçaient droit sur les plaines en direction du soleil couchant d'hiver. Les victimes laissées dans le sillage de la caravane du Pirate guidaient leur trajectoire.

Ils traversèrent l'Euphrate, là où deux cités se faisaient face, chacune sur leur rive. Le passeur reluqua leurs chevaux d'un œil connaisseur. Ils débarquèrent sur la berge occidentale au milieu de vendeurs ambulants. Surplombant une colline, une ziggourat dominait la ville. Bien plus imposante que le palais-temple d'Inive, elle donnait le tournis. Gavra en eut mal à la tête. Construire des murs si hauts tenait de la folie. La cité grouillait de monde. Ils s'approchaient de la Grande-Eau, la densité de la population augmentait. Zak disparut dans un cabaret-brasserie. Il planta Gavra auprès des montures sur une recommandation :

– Ne laisse personne s'en approcher !

La lance d'Aqil à la main, Gavra se dressa telle une sentinelle devant la brasserie. Lorsque Zak ressurgit, sa mine était sombre. Il avait obtenu l'information souhaitée : la destination de la caravane du Pirate. Il se fournit en vivre, acquit des outres supplémentaires. Gavra chargeait le tout dans les sacoches de part et d'autre des chevaux. Dans le panier d'une femme aussi noire qu'une obsidienne, Zak préleva deux étoffes. Il en tendit une à Gavra. L'autre, il l'enroula autour de sa tête.

– Si le vent se lève, sur cette rive de l'Euphrate, ton gosier se remplit de sable en moins de temps qu'il te faut pour dire : « Que Shanga bénisse tes pas. »

Gavra en resta interloquée. Il me singe ou je rêve ? Seuls les yeux pétillants de malice de Zak dépassaient du turban. Il ressemblait à ces pasteurs que l'on voyait sur les plaines entre les rivières. Gavra l'imita en bougonnant :

– Mieux que de la bouse d'auroch.

Zak sauta en croupe. Gavra attrapa la main osseuse qu'il lui tendait, puis d'un mouvement désormais aisé, elle le rejoignit sur le cheval. Enturbannés comme les indigènes, ils passèrent le mur d'enceinte en compagnie de paysans, se frayant un chemin au milieu de mendiants et de leurs marmailles agglutinées à l'ombre. L'agglomération dans leur dos, ils continuèrent en direction du soleil couchant. Ils dépassèrent les jardins irrigués par le fleuve, puis firent face à une immense étendue aride. Seuls les nomades guidaient leurs troupeaux d'un point d'eau à l'autre, d'une oasis à un puits isolé entre des buissons rabougris.

Zak montra l'horizon :

– On ira plus vite par le désert. On évitera les villages et surtout Uruk, la plus grande cité du monde connu.

– Où va-t-on ?

– Sur les rives de la Grande-Eau. On arrivera peut-être à temps.

Shamal partit au galop en soulevant un nuage de poussière. Sans parler, les paupières plissées dans une fente de leur turban, Zak gardait le cap, Gavra se laissait emporter. Ils montaient un cheval puis l'autre, les ménageant, ne s'interrompant à peine. L'élixir de bataille coulait comme du bronze en fusion dans les veines de Zak. Il en oubliait les grincements de ses vieux os.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant