En-Iris rechignait dans les bras de Cendre. Le roi déambulait dans la chambre royale. Ses pieds nus s'enfonçaient dans l'épaisseur des tapis. Il écoutait, transporté, la voix grave de Cendre chanter une berceuse shangaïn au bébé. Ils étaient seuls. La reine profitait de l'ombre des jardins. La chaleur de l'après-midi pesait de toute sa léthargie sur le palais où la plupart des courtisans somnolaient jusqu'au soir. La tenture rabaissée devant les ouvertures les protégeait du soleil. La pénombre et la touffeur eurent raison de la résistance d'En-Iris. Elle finit par s'endormir.
Cendre la déposa délicatement dans son berceau d'osier. Le roi avait fait servir des plats de fruits ainsi qu'une carafe d'eau parfumée de menthe ; il renvoya toutes les servantes. L'enfant dormait. Le temps s'était immobilisé. La torpeur tenait la cité dans son poing.
Le roi remplit une coupe d'eau fraîche. Il la tendit à Cendre. Elle y trempa ses lèvres.
– Merci, Sa Sublime.
La tessiture grave envoya une décharge le long de la colonne du roi. La gorge étriquée, il murmura :
– An-En-Uth. Appelle-moi Anenuth.
– Anenuth, répéta Cendre.
Elle vibrait d'anticipation. En lui offrant de l'appeler par son nom, le roi lui ouvrait la porte de son intimité. Des gouttes de transpiration coulèrent dans son dos. Des jours qu'ils s'observaient de loin. Le roi but une longue gorgée d'eau.
– Malgré la fragilité de la paix avec les insurgés, je ne pense qu'à toi. Malgré des sollicitations innombrables, une cour de justice remplie de problèmes, je ne vois que toi.
Cendre frémit. Le désir du roi embrasait le sien. Son regard sur elle comme une caresse, une promesse de plaisirs partagés.
– J'aurais pu t'appeler ou visiter ta couche, comme une concubine. Mais je ne veux pas d'une concubine de plus.
Cendre tressaillit. Que veut-il ? L'air sentait la foudre, ses poils se dressaient. Une Shangaïn qui désirait un homme l'invitait tout bonnement entre ses bras. Elle ne se posait pas toutes les questions compliquées que les statuts sociaux d'Inive soulevaient. Toutes ces contradictions en elle, elle détestait ça. Si elle avait été faite de la même glaise que les femmes de sa tribu, elle aurait pris cet homme, comme elle avait pris Zaël ! L'image du chevrier la séduisant près de son troupeau, incongrue au milieu du luxe du palais, sembla être le souvenir d'une autre personne, une autre Cendre qui courait la montagne, montait une tente le soir venu. Le roi la dévorait des yeux, elle pouvait simplement l'attirer dans ses bras. Mais son khou la poussait vers un compagnon de vie, et Jaim lui offrait cela.
– Je découvre une vérité, poursuivit Anenuth. Mon père a désigné mon épouse alors que je n'étais qu'un enfant, je pourrais avoir n'importe quelle femme d'Inive, or pour la première fois, je désire avec mon cœur.
Cendre oublia de respirer. Ses pensées eurent un soubresaut. Que dit-il maintenant ? Le roi passa derrière elle. Sa proximité souleva une onde chaude sous sa peau. Les mains effleurèrent sa nuque pour accrocher à son cou une parure de cornaline et de lazulite.
– Accepte ce présent, accepte mes sentiments.
Ô, Shanga, éclaire-moi de ton feu ! Pourquoi je résiste ? Jaim se fraya un chemin dans ses pensées. Il lui souriait, lui offrait toute sa confiance, une vie à ses côtés. Mais pouvait-elle dire non au souverain ? Je suis une esclave !
– Sa Sublime...
– An-En-Uth.
– Anenuth, je...
Le roi se délecta de son nom sur les lèvres de la Shangaïn. Il décrocha la broche de son propre châle. Le vêtement glissa au sol. Il se présenta, nu comme au premier jour devant celle qui l'avait réduit à sa plus simple humanité.
– Je suis tien.
La vulnérabilité du roi l'émut. Son cœur sautait comme un dératé dans sa poitrine.
Anenuth leva la coupe de Cendre jusqu'à son visage. Il but une longue gorgée, ses yeux troublés, plongés dans ceux de la femme qui l'emmenait vers des émotions inconnues. Il se pencha, posa ses lèvres sur les siennes pour laisser un filet d'eau couler d'une bouche à l'autre.
Le sang de Cendre accéléra. Les arômes explosèrent dans son palais, la fraîcheur de la menthe nimba son cerveau. Elle déglutit le nectar, le sucre, la menthe, l'essence d'Anenuth. Déjà la langue du roi cherchait la sienne, ses bras l'attirèrent contre son torse. Elle en perdit le souffle. Ses pensées n'arrivaient plus à formuler autre chose qu'une chaîne de Oui ! Non ! Oui ! Non ! Oui ! Non ! Son corps, saisi d'une volonté propre, répondait aux élans de l'homme, à sa fougue. Elle serra les épaules du souverain, le pressa plus fortement contre sa poitrine. Ses ongles s'incrustèrent dans la peau mate. Enfin, elle le repoussa.
– Non !
Cendre reprit son souffle, l'haleine au parfum mentholé l'enivrait.
– Dans notre tribu, les femmes ne vivent pas avec leurs hommes.
Maintenant que les mots franchissaient ses lèvres, Cendre retrouvait ses esprits.
– Mais ici, tout est différent. Tu as des concubines, une épouse...
Le roi ne pouvait s'empêcher de frémir au son de cette voix. Les doutes dans les yeux de la Shangaïn démentaient l'appel de son corps. Ses ongles étaient encore plantés dans ses muscles, elle le retenait plus qu'elle ne le repoussait. Elle avait l'allure d'une souveraine, lui était nu comme un esclave. Il contempla la parure à son cou qui mettait en évidence sa beauté.
– Tu as le charisme d'une reine.
Il fit glisser la robe de l'épaule délicate. Cendre frémit. Son épiderme se tendait vers l'homme offert devant elle. Les doigts du roi effleurèrent la peau de son ventre. Elle fut parcourue de frissons. Voulait-elle lui dire non ? Le désir du roi la chamboulait. Le tissu cascada, la laissant nue.
Anenuth contempla la femme devant lui. Il n'avait jamais ressenti une telle émotion. Il avait suivi les préceptes de son père, il avait évité la ruine de son royaume, de sa famille. Il voulait enfin s'abandonner à son cœur.
– Tu es déjà la mère de mon enfant. Deviens ma reine.
Cendre tremblait de la tête aux pieds. L'espace entre Anenuth et elle s'était réduit, leurs corps se frôlaient, son épiderme se hérissait. Le monde avait cessé d'exister. Les prunelles du roi, remplies d'espoir, vibrantes, la tenaient dans sa magie. Il articula dans un murmure atone :
– Je souhaite que tu deviennes ma seconde épouse.
Cendre plaqua ses formes aux siennes. Sa bouche dévora les lèvres d'Anenuth. Dans sa tête, elle criait : Oui ! Non ! Oui ! Non ! Oui ! Non ! Oui ! Oui ! Oui !
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Historical FictionDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...