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Gavra apparut devant la tente de Ziba, salua la matriarche du clan du Saule. Elle lui remit une broche en calcite. Ziba se pavana, heureuse de ce nouvel ornement. Gavra se hâta de se défaire de l'intérêt exubérant de ses cousines pour entraîner Rèze vers la rivière. Elles s'assirent face au Zagr. Il leur était plus facile de communiquer si elles ne devaient pas se regarder.

Rèze fit remarquer :

– Tu portes le collier de la vieille ermite.

Gavra tripota la parure des prédécesseuses.

– Son esprit m'a accompagné toutes ces dernières lunes. Grand-mère Nita aussi.

– Tu lui ressembles, tu sais.

– À grand-mère ? C'est vrai ?

Rèze hocha la tête. Ses lourdes tresses se balancèrent.

Gavra se glissa derrière sa mère, elle lui demanda :

– Tu permets ?

Sans attendre de réponse, elle défit les deux cadenettes. Elle tira un peigne d'ivoire acheté au marché d'Utub et entreprit de brosser la longue chevelure noire de Rèze. Surprise, celle-ci se laissa faire.

– J'ai perdu le joli bracelet de coquillage que tu m'as offert à mon départ d'Hadenne l'année dernière. Il s'est cassé alors que je dormais dans les arbres.

– Dans les arbres ?

– C'est un talent qui m'a été bien utile. Ainsi que de savoir chasser.

Elle le dit sans revendications. Comme un fait.

Les cheveux démêlés, Gavra se mit à les nouer en de nombreuses petites tresses. Elle les terminait en y attachant des perles d'ivoire ou de bronze ramenées d'Utub. Alors que ses mains s'affairaient, elle raconta :

– Une nuit, dans la savane — immense, tu n'en vois même pas le bout — des lionnes buvaient à quelques pas de moi. J'ai cru que ma fin était arrivée. Mon bracelet s'est brisé sur l'écorce.

– J'ai prié pour toi, dit Rèze.

Elle chuchota le reste de l'aveu :

– Quand j'ai appris que les envoûteuses avaient été enlevées par les Kâgn, je n'ai fait que prier.

– Je me suis sentie portée, par les anciens, par les dieux. Par tes prières peut-être.

– Iris ne s'est pas trompée en te revendiquant.

La conversation tarit. Seule la rivière murmurait son chant ininterrompu. Des hommes venaient y puiser de l'eau. Les chèvres se désaltéraient. Des enfants jouaient dans les bassins, en aval, entre les rapides, leurs cris stridents déchiraient par à coup le calme de la vallée.

Les doigts de Gavra s'agitaient sans qu'elle sentît la nécessité de parler. Bientôt, Rèze fut ornée d'une multitude de tresses. Elle s'observa dans une flaque, tâta les perles, puis son crâne ainsi remodelé. Elle sourit timidement à l'apparition. 

☪︎

Dans la grotte des sorciers, Raji et Diyako s'affairaient auprès de Nouz. Diyako avait ôté son masque. Le soleil bas sur l'horizon n'atteignait pas la profondeur de leur caverne. Désormais, ses yeux supportaient les aubes et les crépuscules.

Diyako ressassait ses pensées, puis n'y tenant plus, il lâcha :

– Le bronze pulse dans toutes les mains. Louvain et Gavra l'ont amené au cœur de la tribu, sans parler de ces bêtes qu'ils contrôlent... On ne peut pas les laisser faire !

Raji interrompit sa tâche. Le pilon suspendu en l'air, il marmonna :

– Ce n'est pas le rôle du sorcier de décider des affaires terrestres.

Diyako se renfrogna. Ses tripes se nouaient de toutes les visions qui l'obsédaient. Il voulait mettre en garde la tribu. Sans ça, le futur allait déraper. Les émanations des cités contamineraient les Shangaïn, que resterait-il alors de leur vallée ?

Raji interrompit le monologue intérieur :

– Nous relions les hommes aux dieux. Nous ne dirigeons pas leurs actions.

– Mais...

– Si, Diyako. C'est une dure leçon. Les matriarches décident pour la tribu.

Diyako avait cherché un appui du côté de Nouz qui suivait la conversation, allongé, la tête soutenue par une fourrure roulée. De la transpiration collait ses cheveux. Diyako ravala ses mots. Il palpa le front de Nouz.

– Tu es brûlant !

– Laisse, ça va passer.

Diyako se promit de demander conseil à Véra. Il épongea le visage de son ami. Puis revenant à l'implacabilité de ses visions, il plaida :

– J'ai vu la vallée du Zagr sans arbres. Que des pierres brûlantes. Il n'y avait plus de gibier, plus d'ombre que des cailloux tordus sous le soleil.

– Parfois, tes visions te trompent, pas ? Comme pour ta désignation.

Diyako hésita :

– Le doigt de Fer s'est pourtant pointé sur moi.

– Oui, mais tu es devenu mon khoutuka, pas ?

Diyako se rebiffa :

– La vision des charniers, c'était bel et bien des charniers. Remplis de Creys trépassés.

Il pouvait encore sentir l'odeur de la mort au fond de sa gorge, voir les corneilles planter leurs becs dans les chairs bleuies.

– Toujours pas de nouvelles des chasseurs du clan du Loup ? demanda Nouz.

– J'ai vu leurs esprits, marmonna Diyako, ils n'appartenaient plus au monde des vivants.

– Je sais, je les ai vu, moi aussi, affirma Raji. Par contre, Pat et Corb sont de ce côté du voile, ils arriveront peut-être à temps pour les célébrations.

Le soleil disparaissait à l'horizon. Une brume montait de la forêt, masquait la canopée. L'entrée de la grotte s'ouvrait au-dessus d'un espace indéfini, des limbes où la main des dieux n'avait pas encore donné forme à la nature.

– Il est temps de rejoindre le cercle des Shangaïn, annonça Raji. Diyako, tiens ta langue. La peur peut être mauvaise conseillère.

La nuque de Diyako se figea. Et l'ignorance, elle est bonne conseillère ? Il ne dit rien. Il passa sa cape sur ses épaules. Il se pencha sur Nouz :

– Je demanderai à Véra ce qu'elle peut nous donner pour faire baisser ta fièvre.

Tendre, inquiet, dévoué, il embrassa les lèvres de Nouz.

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Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant