Shangaïn 4. Les héritiers des dieux

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Assis dans son trône, le dos droit, perruque noire, sceptre à la main, le roi représentait la justice divine. Il était d'humeur massacrante. La veille, en plus d'avoir dû faire face à l'incendie qui ravageait sa cité, on lui avait appris que le chasseur de serpent avait ravi Cendre. Il avait ordonné qu'on les poursuive. Son commandement fut contredit par la reine. Le Simoon exigeait tous les bras vaillants pour combattre le feu. Le roi se cabra. Depuis quand son épouse lui dictait-elle sa conduite ? Puis au regard qu'elle faisait peser sur lui, Anenuth comprit qu'elle était derrière la disparition de sa bien-aimée. Il en resta stupéfait. La jeune fille docile choisie par son père, intimidée par les fastes de la cour, par En-Uthzi et les Grands-Prêtres, s'était transformée en une femme autoritaire, prête à se battre pour sa position. Il prit sa nouvelle mesure. Il enrageait. Pour une fois qu'il suivait son cœur, on lui refusait ses désirs. Il avait serré les dents et fait passer les besoins de sa cité avant ses propres envies. Tous les hommes vaillants combattirent le feu. Aucun ne poursuivit la Shangaïn.

Derrière lui, la fresque où Uth bénissait paysans et pasteurs remplissait le mur en lui conférant un air de grandeur.

La salle d'audience était comble. La rumeur avait couru dans tout le palais. Les sauvages des montagnes allaient recevoir leurs récompenses. Avec ces gens, qui sait ce qui allait encore se produire ? Les curieux jouaient des coudes pour bénéficier d'une meilleure vue. Les nobles faisaient semblant d'être désintéressés ; la brasseuse fantasmait sur Cheyd ; Um'Šidim et le maître céramiste avaient quitté leurs ateliers ; ils s'étaient embourbés dans une controverse au sujet de l'absence d'Um'Mani.

– Aussi l'In-genus a déjà reçu une ferme, des champs, une demeure à Qish ! râlait le céramiste, vert de jalousie.

Gavra ne s'habituait pas à être le centre d'attention. Elle caressa la fronde enroulée sous la parure des ancêtres. Retrouver le parterre d'une forêt, l'odeur des feuilles mortes, du givre... Ici tout dérape. L'atmosphère chez les al Khali était irrespirable. Banou soupçonnait Topaze d'avoir provoqué l'incendie qui ravageait la ville. Au temple de Shanga, la foule des dévots augmentait. C'était à peine si Téha avait réussi à s'y extraire pour recevoir la gratitude de Sa Sublime. Cendre et Jaim s'étaient enfuis — Sisha l'Oracle le lui avait chuchoté, la veille. Gavra tapota le sol dallé de ses sandales. Vivement qu'on se tire d'ici.

Le roi prit la parole. Le silence descendit sur la salle d'audience :

– Louvain Shangaïn, viens à nous !

Zak releva un menton arrogant, sa maison était distinguée. À ses côtés, Cheyd bomba son torse pas moins fier que le marchand.

– Voici l'or promis ainsi que l'insigne de ta fonction : Compagnon du jardin !

Le Grand-Prêtre Aga Roshan remit à Louvain des pains d'or ainsi qu'un cylindre gravé : un homme dressé entre deux guépards.

Le roi toisa l'assemblée. Démontrer aux Iniviens qu'il tenait ses serments renforçait sa position secouée par les événements de la fin de l'été. Si se faire craindre du peuple était parfois utile, il préférait susciter la volonté de plaire. Par habitude, il chercha Cendre des yeux. Un coup de poing dans le ventre lui rappela son absence.

Louvain s'inclina. Il portait ses boucles d'oreilles d'albâtre en forme de lune. Elles dansèrent de chaque côté de sa mâchoire carrée qu'une légère barbe recouvrait. Le châle de lin retenu par une broche en lapis ondulait sur son corps musclé, sa jupe assortie cascadait jusqu'au sol, signe de sa position à la cour.

Les nobles l'ovationnèrent. Non seulement Zak al Khali avait atteint le conseil du roi, mais son protégé avait acquis un statut encore plus rare. Devenu le Compagnon du jardin, il avait l'oreille du souverain. C'était désormais un courtisan dangereux, dont il valait mieux s'attirer les bonnes grâces. Ils constatèrent la confiance du jeune homme lorsqu'il prit la parole. À peine gagnait-il sa fonction, qu'il demandait à quitter le palais !