Shangaïn 4. Les héritiers des dieux

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Le Simoon emporta le cerf-volant que Mani déroulait, campé au centre de sa barque. La puissance du vent maintenait le carré de roseau en l'air. Expérimentant avec sa nouvelle marotte, Mani attacha la ficelle à la proue. Le Mani-qui-vole valsa un moment dans le ciel, avant de tomber dans le canal. Dépité, Mani le repêcha. Il rembobina la cordelette. Le Simoon soulevait la paille abandonnée sur les champs moissonnés. Il ébouriffait ses cheveux, gonflait son vêtement. Pris d'une intuition, il se déshabilla sous le regard désapprobateur de Zilulu. Il tendit son châle à bout de bras. Une rafale l'obligea à cramponner ses orteils. L'embarcation bondit. Mani sourit d'une oreille à l'autre.

– Zilulu ! lança-t-il. Tiens cette extrémité !

Ils se positionnèrent face aux bourrasques en retenant chacun un pan du tissu de laine.

– Levez les pagaies ! ordonna-t-il aux rameurs.

Ses serviteurs surpris obtempérèrent. La barque continua d'avancer, mue par la force du vent.

– Hourra !

Mani criait à plein poumon en s'accrochant à la voile. Il larmoyait, irrité par la poussière. Ses cheveux volaient. Un sourire maniaque déformait sa bouche. Il avait l'air d'un fou, l'un de ceux qu'on enchaîne pour éviter qu'il ne se fasse du mal ou blesse ses congénères.

– Je vais faire coudre un tissu plus grand, hurla Mani dans le vent. On va installer des crochets de chaque côté de la barque !

Zilulu se blanchissait les phalanges pour retenir le vêtement du Um. Son admiration pour Mani se teintait de crainte. N'allait-il pas attirer la colère des dieux en se jouant ainsi des éléments ? Pourtant, Zilulu aurait suivi son ancien maître jusque dans les enfers s'il le lui avait demandé.

Les murs d'Inive s'approchaient déjà. À contrecœur, Mani se rhabilla. Il se répéta les phrases préparées pour l'entrevue royale qu'il était venu solliciter. Il tentait d'affûter son vocabulaire, mais son esprit divaguait, captivé par Nayira, sa bien aimée déesse des vents. Il imaginait le meilleur moyen d'accrocher une voile à sa barque.

Quand il arriva à la porte de l'atelier, il fut surpris d'y trouver la moitié de sa tribu. Il s'immobilisa, Zilulu resta en retrait. Le mimosa perdait ses feuilles, sa couronne se vautrait en une flaque orange. Le doigt Après-Zénith assommait encore le palais de sa chaleur. Le temple blanc dominait la cour des artisans, son ombre s'étendait sur la cité au pied de la ziggourat, où l'on venait à bout des derniers foyers de l'incendie. Le soleil s'engouffrait dans la façade ajourée, dessinant des taches de lumières sur les occupants marqués par les péripéties de la salle d'audience. Personne ne le vit.

L'In-genus rempli des paroles qu'il destinait au roi d'Inive eut du mal à faire coïncider tous ces Shangaïn avec sa réalité de tous les jours. Téha et Topaze étaient parées de colliers de perles comme de nobles descendantes d'Alulim. Selma marmottait toute seule — comment était-elle arrivée jusque là, elle ? Cheyd insistait pour que Clémence s'étende ; Louvain et Gavra étaient plongés dans une discussion. Mani dut la regarder à deux reprises. Était-ce vraiment la petite Gavra, cette jeune femme qui riait à la boutade de Louvain ? Tous deux tatoués. Il scrutait les lieux et les visages quand son sang se figea. Allongé dans l'alcôve de Šidim, c'était bien Tibo ! Les recherches avaient abouti ! Personne ne lui avait rien dit. Mani déglutit, assailli de remords. Sa première tâche de traqueur avait été de retrouver le khoutuka disparu. Il avait dévié de la piste. Une fois le Tigre franchi, sa vie avait été dirigée par la nécessité de survivre. Il lui avait fallu s'extraire du camp des insurgés en prouvant sa loyauté, s'habiller, apprendre les coutumes des cités, s'infiltrer dans le palais d'Inive. Il se remémora le cachot obscur, son désespoir. Comme une feuille dans le vent, il se vit dans la cour des artisans, son sort entre les mains des Grands-Prêtres. Sa volonté, tel un flambeau dans la nuit, avait dirigé sa folle course contre le temps.