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Diyako, abasourdi par les youyous des Shangaïn, fixait Pat et Louvain. L'un brandissait sa lame de bronze, l'autre son marteau de forgeron. La vision d'Hadenne dépouillée de tous ses arbres tel un désert pelé remonta comme un goût de vomi au fond de sa gorge.

Les oreilles décollées, les prunelles débordant d'admiration, sa sœur Luna acclamait les deux gars dont la popularité grimpait en flèche :

– Louvain ! Pat ! Hourra !

Thoko lança avec une ironie teintée de solennité :

– Nos sauveurs !

C'en fut trop pour Diyako. Il fit un pas vers l'Œil de Shanga. Il devait mettre en garde la tribu. Ces deux fanfarons allaient tous les entraîner dans le malheur ! Les Shangaïn ne pouvaient pas marcher droit à leur perte, comme des aveugles. Ils risquaient de tous y passer. Luna et Thoko y compris.

Raji allongea le bras pour tenter de le stopper, mais Diyako poussé par une force plus grande que lui, par trop de mots retenus depuis des jours, empli de ses implacables visions, se dégagea d'un coup d'épaule. Il tituba jusqu'au centre du cercle.

Il se mit à genoux et caressa les flammes. Ô, Shanga, donne-moi ta clarté, purifie mes paroles, tranquillise ma poitrine !

Il leva les deux mains pour obtenir le silence. Sa cape de cuir flottait sur son corps maigre. Les plumes d'aigle vibraient sous les attaques du Vent-Noir. Il ôta son masque. Ses iris encore imprégnés de liquide sombre ressemblaient à deux puits sans fond. Il demanda :

– Savez-vous ce qui a blessé mes yeux ?

Un mutisme consterné lui répondit. Diyako espéra que Gavra allait le comprendre. Elle avait foulé les territoires dominés par ces brumes sournoises. Ils avaient lutté ensemble contre l'éclat violent du métal.

– Savez-vous ce qui a tué Iris ? continua-t-il. Ce qui a failli me faire traverser le voile ? Ce qui a presque eu raison de Kamni, la sorceresse des Creys ? Savez-vous qui est l'ennemi des Shangaïn ?

Les clans firent silence. On célébrait Louvain et Pat, que voulait le fils de la guérisseuse ? Sa timidité maladive semblait s'être évaporée.

– Vous pensez que ce sont les rois des cités ou leurs prêtres ? demandait Diyako.

– Sont-ce les monstres des marais ? le provoqua Thoko. Ils vont surgir des brumes pour venir nous manger ?

– Non, mon frère. Ce qui risque de nous détruire, ce qui nous enserre de ses fils, qui a emporté Iris et que j'ai vu de près...

Diyako pointa un doigt vibrant sur Pat et Louvain. D'une voix forte, il cingla :

– Eux !

– Quoi ? Qui ? s'exclama Ziba en cherchant le danger.

Diyako se dressa de toute sa sainte colère :

– C'est l'esprit mutable ! L'alliance du Feu et de la Terre ! Le Métal et le Bitume.

La tribu se taisait, impressionnée. Que racontait le khoutuka sorcier ?

– Le Bitume... Cette chose que Banou nous a décrite ? demanda une voix.

– Exactement, répondit Diyako, le sang de la Terre. Le métal c'est aussi ce bronze, dont parlent Louvain et Pat.

Il montra le sabre de Louvain :

– Nous ne sommes pas les dévots de l'esprit mutable. Si vous le laissez envahir notre vallée, il va tout détruire. Ce cercle sacré, l'équilibre des matriarches, la bienveillance des dieux de la forêt. Ça a déjà commencé.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant