Ils avaient chargé leurs maigres possessions sur leurs barques, sans se retourner, ils avaient abandonné leurs huttes de roseaux sur des îles de joncs. C'était une forme d'exode, une fois de plus, mais cette fois, les parias avaient bien l'intention de trouver la terre promise. Les hommes poussaient sur les longues perches, fendaient la végétation de leur embarcation. Les perspectives de batailles, de gloire, de champs cultivables avaient embrasé les Exilés. De tous les recoins des marais, ils étaient sortis de l'ombre pour converger vers le bras oriental de l'Euphrate.
Le couple de vieillards était resté dans leur mudhif.
– 'Pas confiance aux descendants d'Alulim, avait marmonné le Vieux.
– T'as surtout peur de mourir en chemin, avait rétorqué la Vieille, le visage borné, adossée à sa hutte.
Les autres étaient partis pour Bîr. Ce n'était pas toutes les années qu'on recevait la promesse d'une terre irrigable. Aux Exilés, s'étaient joints les pasteurs nomades. Plus d'un fut stupéfait du nombre de réfugiés qui émergeait des marais pour se mêler à l'exode. Ils amenaient leurs aurochs et cela ressemblait à une bénédiction. Ils se mirent en route, à la vitesse de leur troupeau, Bîr comme point de mire.
Les Exilés aperçurent de loin les fumées des feux de camp autour de la bourgade assiégée. Ils s'amarrèrent à distance, puis restèrent cachés dans les roseaux le long de la rivière. Le plan était on ne peut plus simple : libérer Bîr, s'en faire des alliés. Le canal serait prolongé, la terre promise serait irriguée, un nouveau village serait bâti, des champs et des jardins naîtraient tout autour.
Les abords du siège ressemblaient à une décharge. Des excréments s'étalaient sur de nombreuses foulées. L'odeur nauséabonde prenait à la gorge. Le soir tombait. Les arbres qui restaient dans la plaine autour de Bîr avaient été abattus pour alimenter les feux. Leurs troncs hachés se dressaient, sinistres devant le crépuscule. Les terres blanchies de sel rougeoyaient dans le soleil couchant. Les champs étaient dévastés. Les jardins pillés. La poussière collait sur les bivouacs. La fumée voilait l'horizon. Des figures se distinguaient sur les remparts de Bîr.
Kain et le Brûlé retrouvèrent Jaim et les Shangaïn accroupis autour d'un maigre feu à l'écart des tentes. Ils observaient la désolation du siège.
Le Brûlé salua Selma :
– Scorpion en colère.
– Cul-terreux, lui répondit Selma en lui montrant les dents.
Le jeune Kain se recula devant la Shangaïn échevelée :
– C'est toi qu'ils appellent la Toquée des plaines, la sorcière qui vole la virilité ?
– En chair et os, répliqua Selma.
Le Brûlé s'impatienta.
– Tu as descendu le général ?
Les pupilles dilatées par la jusquiame, l'entrejambe en feu, Selma déclara comme on mâche une nourriture amère :
– J'ai rempli ma mission. J'ai castré la bête.
Elle pointa un homme entre les tentes. Nu comme un vers, son épée dégainée, le général courait en criant à tue-tête. Soudain, son cheval fut devant lui, Husht tomba à terre :
– Ô origine du monde ! Grand vagin, de là nous venons tous !
Il s'inclina devant le cul de sa jument. Les soldats s'attroupèrent autour de la scène. Quand la pouliche pissa, Husht leva les bras au ciel. À genoux sous la cascade, il bafouilla, en extase :
– Fais pleuvoir tes bienfaits, Ô déesse !
– C'est dû à toi ? chuchota le Brûlé à Selma, impressionné.
Kain la dévisagea. C'était peut-être vraiment une sorcière !
Selma se suça les dents. Ça fit un chuintement méprisant.
– Du poison.
De la bave glissa sur son menton. Clémence se préoccupa de l'état de sa mère. Chienne de vie ! Où était la matriarche des Scorpions, si maîtresse d'elle-même ? Selma n'était plus elle-même.
Secoué de convulsions fiévreuses, Le Second exigea qu'on aidât le général à se relever. Celui-ci se défendit à coup d'épée. Puis il partit en courant, détrempé d'urine. Le Second donna des ordres d'une bouche pâteuse que personne n'écouta. Enfin, un milicien le souleva par son gilet pour le jeter dans le canal. Les lieutenants s'empoignèrent pour prendre le commandement. Un combat général s'embrasa comme un feu de brousse après la sécheresse.
– Ce serait le moment parfait pour attaquer, s'excita Kain.
– Il faut passer à l'action, acquiesça le Brûlé.
Cheyd détaillait l'anarchie qui s'était emparée du camp. Si ces gens s'entretuaient, leurs chances de retrouver Tibo en libérant la petite cité devenaient réelles, à condition que l'information de l'esclave noire fût correcte.
Une flèche embrasée éclaira la nuit, bientôt suivie par d'autres.
Les miliciens éberlués tentaient de s'extraire au plus vite de leurs tentes. Ils titubaient vers leurs armes. La plupart étaient malades ou ivres. Ils se regroupaient tant bien que mal.
Par habitude, les lieutenants attendaient les ordres du général. Lui, chantait, agenouillé devant le cul de sa jument : Oh, vagin sacré fait pleuvoir tes bienfaits sur nous autres pauvres mortels !
Le ciel était strié de comètes. Bîr tentait une sortie ? Non, l'attaque venait de leur dos. D'où surgissaient ces gens ? Qui étaient-ils ?
Les Exilés bondissaient parmi les tentes, munis de flambeaux, ils mettaient le feu sur leur passage. Ils fonçaient vers le combat. Ils hurlaient des cris de guerre, piques et faucilles pointées devant eux. La nuit brûlait, des mugissements d'agonie montaient vers les étoiles. La jument pissait. Le général pleurait de joie sous la cascade. La faux d'un Exilé mit fin à ses jours.
À l'orée du camp, saisie d'une fascination morbide, Selma avait continué à épier le général. Quand sa face s'écrasa dans la terre mouillée d'urine, elle s'entailla le visage. Une deuxième marque barra son arcade sourcilière. La mâchoire contractée, elle expulsa des mots hachés :
– Sans le poison, il aurait pu se défendre.
Clémence attira sa mère contre elle. Elle lui caressa le front. Elle fredonna tout bas, la berceuse shangaïn que Selma lui chantait, enfant.
– C'est pas notre guerre, se justifiait Cheyd qui refusait de se mêler à la bataille. Si ces gens veulent se décimer, c'est leur histoire.
– On devrait tenter de forcer les portes de Bîr, proposa Clémence entre deux strophes.
Cheyd la dissuada d'essayer :
– En pleine nuit, on te confondrait avec un assaillant.
Le combat ne dura pas. Kain tenait un milicien à la pointe de son épée. L'homme hurla qu'il se rendait. Bientôt son cri fut repris par tous. Le Brûlé se saisit du commandement. Il ordonna de désarmer les soldats encore au service de Kuppur. Son ricanement lugubre couvrit le brouhaha :
– Voilà des esclaves pour travailler nos terres !
– Hourra ! Hourra !
Face aux remparts, Jaim scandait :
– Alliés ! Alliés !
Les portes de Bîr restèrent closes.
Les Exilés continrent les feux. Des fiasques d'alcool de palme circulèrent. Des enfants fouillaient les corps tombés, ils s'emparaient de tout ce qu'ils trouvaient, des gilets aux épées, en passant par des sandales qu'aucun d'entre eux n'avait jamais portées.
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Tiểu thuyết Lịch sửDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...