Un turban masquait le visage de Tibo lorsque de nuit, il quitta le palais par la porte des serviteurs. Il paya la traversée du canal à un passeur. Un incendie ravageait la cité au Couchant. Tel un crépuscule sanglant, un ciel écarlate éclairait Inive.
Il débarqua sur l'autre rive, s'assura qu'il n'était pas suivi, puis il délaissa les quais de déchargement pour remonter parmi les entrepôts jusqu'au quartier des poissonniers. L'odeur de saumure dominait celle des immondices. Des chiens errants grognèrent dans l'ombre des ruelles, leur queue plaquée entre les jambes. Tibo les ignora. Il avançait vite, sans bruit. Il longea une bâtisse borgne, passa le portique, frappa à la porte enfoncée dans le mur latéral. Son pouls tressautait dans ses veines. Le souffle court, l'appréhension bloquait sa respiration. La porte s'ouvrit. Trop tard pour changer d'avis ou faire demi-tour.
Le serviteur ne masqua pas sa surprise. Il le fit entrer. Tibo traversa la cour à ciel ouvert. L'alignement des bacs où séchait le sel, les moules entassés sous un appentis, l'odeur de saumure, tout était exactement comme il se le rappelait.
Le serviteur poussa la porte de la pièce centrale éclairée par des coupelles de naphte. Il annonça le visiteur.
Tibo remercia Obadiah. Il fit face au troqueur shangaïn, Firdaus al Khali. Sa poitrine se soulevait d'élans contradictoires. Il aurait voulu repartir à la course, pourtant il tremblait d'anticipation.
– Entre, l'invita Fer.
– Personne ne m'a suivi, assura Tibo en pénétrant dans l'antre du marchand de sel. Je vois que rien n'a changé.
– J'ai quitté la maison de Zak.
– Clémence m'a dit.
Obadiah servit une infusion de menthe fumante ainsi que des pâtisseries au miel. Il déposa le plateau sur la table basse entre les deux hommes, puis s'effaça discrètement.
– Obadiah est resté avec toi.
– Il me donne des nouvelles. Il m'a annoncé la rumeur de ton retour. Je me demandais si tu allais venir.
Tibo eut un frisson sous le regard pénétrant de Fer.
– Je ne voulais pas revenir.
– Merci de ne pas avoir divulgué mes secrets, ni à Zak ni aux Shangaïn.
Tibo se servit de l'infusion. Il observa la pièce centrale de la maison de Firdaus al Khali. Les tentures aux murs, les tapis de laine épaisse au sol. La table en bois de buis. La couche molletonnée. L'odeur de cumin et de coriandre. Le confort sans ostentation.
– Pourquoi es-tu parti ?
La voix de Fer avait tremblé. Retrouver le garçon devant lui, remuait des souvenirs douloureux.
– Je ne pouvais pas retourner vers les Faces-Barrées, jouer les idiots pour leur piquer leur étain. Je ne pouvais pas retourner à Hadenne porteur de tous tes secrets. Je ne pouvais pas assister à une nuit de sollicitations et me taire. Je ne pouvais pas rapporter du cuivre de merde à Selma et Aqil. Je ne pouvais pas leur faire face en étant ce que j'étais devenu.
Sa main trembla. Il reposa le gobelet d'infusion. Il dit :
– J'ai eu le temps d'y penser, à Bîr. Toi, tu n'as pas de famille, tu mens à des étrangers.
– À ma tribu, qui me méprise.
– Ce n'est pas pareil pour moi.
– Alors pourquoi tu ne leur as rien dit ?
Tibo évita de répondre. Il savait très bien pourquoi il avait protégé Fer, Firdaus al Khali. Il dévia la question :
– Pourquoi avoir revendiqué un nouveau khoutuka ?
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Historical FictionDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...