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Le soleil se reflétait sur les étendues de terres recouvertes d'une couche blanchâtre. La sueur coulait dans les yeux de Selma. Elle se passa un bras en travers du front, étalant la transpiration et la crasse. Ombrageant son visage d'une main, elle observa, depuis la caravane des prostituées, le siège de Bîr.

Sa curiosité était attisée par ces champs jadis fertiles, désormais blanchis par le sel des profondeurs. Année après année, l'irrigation intensive pénétrait les entrailles du sol et forçait le sel contenu dans la terre à remonter à la surface, empoisonnant peu à peu les cultures. Aucune plante ne résistait à cette salinité extrême, les terres se désertifiaient.

Alors qu'elle suivait la milice, Selma avait remarqué beaucoup de ces lopins stériles, abandonnés près des canaux. Elle y voyait la main des dieux. Ils punissent les agriculteurs, ces gloutons qui prennent à la Terre tout ce qu'elle offre ! Il lui fallait s'enfuir sans se retourner. Ce siège ne la concernait pas. Si elle restait, elle allait se transformer en statue de sel.

Perché sur son cheval, le général Usht faisait le tour de Bîr. L'homme qu'elle était supposée envoyer de l'autre côté du voile.

Selma marmonna :

– Dommage que le ridicule ne tue pas ! Il tomberait comme une mouche.

Elle débattait à haute voix :

– Au nom de quel dieu, les Exilés exigent une vie pour le sauvetage de Banou et Téha ?

Les prostituées s'écartaient de cette femme qui parlait toute seule.

Selma mâchouilla une poignée de jusquiame noire. Elle ne se donnait même plus la peine d'en tirer des infusions.

– Pour les bêtes, le poison, étalé sur la pointe des flèches.

Elle postillonnait. De la bave coulait à la commissure de ses lèvres. La diction pâteuse, elle continuait son soliloque :

– Une flèche empoisonnée. Dans la gorge de la Grosse Vessie sur son cheval. Tchouk ! De sang-froid !

Elle gloussa, puis sa voix se brisa :

– Un Shangaïn ne prend pas la vie ! Qui suis-je pour décider du khou des hommes, Nom de Kira ?

Elle s'envoya une baffe si forte que les larmes lui montèrent aux yeux.

– Voilà La Toquée qui a une nouvelle crise, dit l'une des prostituées à une autre.

Elles observaient avec méfiance la folle qui s'était jointe à elles.

Selma s'agrippa la tignasse à pleines mains. Elle vociféra :

– Trou de putois !

Elle comprenait le soulagement que sa fille trouvait en jurant. Les effets de la jusquiame noire dominèrent ses pensées. Elle imagina son Aqil dans un habit de milicien : le gilet le serrait aux épaules, faisait saillir ses biceps, la jupe en languette de cuir révélait des cuisses comme deux troncs. Elle préférait voir ses fesses rebondies aller sur les chemins ! Selma pouffa. Son entrejambe prit feu. Elle se caressa sans pudeur. Aqil se dressait dans son hallucination, elle aurait pu lui sauter dessus comme une chienne en chaleur. Des gémissements s'échappèrent de sa gorge. Peloter ces petites fesses fermes ! Elle étouffa un geignement mi-rire, mi-miaulement. Puis l'image de la flèche Kâgn plantée dans le cou de son compagnon brisa son délire. Elle hoqueta prise de sanglots.

Les prostituées se jetèrent des regards entendus en retournant à leurs affaires. Les assiégeants avaient saisi tous les ovins des environs. Ils avaient de quoi tenir et dédommager leurs plaisirs. L'eau croupie avait déclenché des dysenteries, les pluies d'été avaient fait flamber les fièvres. Les miliciens s'époumonaient dans des toux persistantes, ou se vidaient sporadiquement. Pourtant, stoïques, ils encerclaient la bourgade où plus aucune denrée ne pénétrait. Eux dévoraient mouton après mouton. Tôt ou tard, les habitants de Bîr terrés derrière leurs remparts allaient devoir se soumettre à Kuppur.

Un paysan s'échappa du siège. Il courait dans la campagne brûlante, l'espoir de sauver sa peau lui donnait la force de détaler comme un lapin. Alerté par les cris, le général Husht planta ses talons dans les flancs de sa monture. Arrivé à la hauteur du fuyard, il enfonça sa lance entre les omoplates osseuses.

La nausée envahit Selma. Pliée en deux, elle vomit un jet de bile.

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Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant