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L'aube repoussait l'ombre. La mousse accrochée aux cyprès dégoulinait de rosée, surgissant de la brume, les baies des genévriers luisaient comme de petits soleils noirs.

Couvert de peinture de chasse, Hardi se déplaçait sans émettre le moindre son. Pat gardait Rouquine à son pied. Elle trottinait sur trois pattes. Gadji les accompagnait. Il tremblait d'anticipation. Chasser avec les hommes, ça ressemblait à ses espoirs avant la nuit de la Désignation. Pat remarqua la ferveur du khoutuka. Il se vit, l'année précédente, encore trempé d'enfance. Depuis, il avait dû survivre à la faim en plein hiver en ne comptant que sur sa propre dextérité. L'exploit avait perdu de sa fascination. Pat avait gagné en respect pour la vie des bêtes qui s'offraient afin qu'il puisse vivre. Il avait encore le goût de la viande d'ours avariée dans la bouche.

Ils s'enfoncèrent dans les bois. L'ombre épaisse des fourrés masquait des fougères givrées.

La famille de sanglier fut tout autant surprise que Hardi quand ils se retrouvèrent nez à nez. Les bêtes détalèrent. Les jeunes de l'année déjà dodus, presque adultes se dispersèrent dans les fourrés. Oubliant sa douleur, Rouquine partit ventre à terre à leur suite.

Pat visa l'énorme truie qui fonçait vers les taillis. Sa bolas vola. Avec un bruit mat, elle l'assomma. L'animal s'affala au sol. Hardi jeta sa lance équipée d'une nouvelle pointe en bronze. Il manqua sa proie. Soudain, le mâle se retourna pour charger les chasseurs.

Gadji tint fermement la vieille pique que ses oncles lui avaient offerte. Il fixait le sanglier qui arrivait au galop. Des coulées de sueur jaillirent de ses tempes. Le temps sembla s'arrêter. Il vit l'animal grossir dans son champ de vision. Les défenses acérées pointées sur lui envahirent toutes ses pensées. Campé au sol, l'argile blanche dessinait des zébrures sur son corps de gamin dégingandé pour avoir grandi trop vite durant l'été. La terre tremblait. À la périphérie de son regard, Gadji aperçut Pat qui bondissait vers lui, le couteau brandi. Hardi cria quelque chose qu'il n'entendit pas.

Soudain, les petits yeux porcins se tournèrent vers Pat qui accourait en gesticulant. Sans hésiter, Gadji enfonça la lance entre la tête et l'épaule. La bête beugla, dérapa, puis s'effondra en bavant. Pat tendit sa lame à Gadji :

– À toi de l'achever !

Le Troisième-Patriarche tomba à genoux devant l'animal. Il posa une main tremblante sur le flanc chaud. Le sanglier râlait.

– Merci, mon frère, murmura le garçon.

D'un coup sec, il trancha la gorge du vieux mâle qui cessa de couiner.

La laie était morte sur le coup. Sa nuque formait un angle impossible. De la bave rose coulait de sa gueule. Pat s'agenouilla :

– Merci d'offrir ta vie pour mon clan.

Il se redressa. Le silence redescendit sur la forêt. Hardi ouvrit le poitrail du sanglier. Il donna le foie à Gadji. Haletante, Rouquine revint, un marcassin dodu entre ses crocs, elle boitait bas.

Les chasseurs descendirent vers le campement encore dans l'ombre. Le soleil éclairait le flanc de la montagne. La fumée des feux s'élevait vers le ciel en de jolies volutes verticales. Aucun vent ne venait troubler l'air du matin.

Hardi portait le corps du sanglier, alors que le Troisième-Patriarche soutenait à bout de bras les deux défenses spectaculaires. Le sang de la bête le mâchurait de la tête aux pieds. L'argile rougie, la transpiration, la bave, Gadji luisait de l'esprit de l'animal. Ses clavicules prêtes à éclater sous l'effort, il ne faiblissait pas. Il revenait au camp avec sa chasse, dans le point de mire de toute la tribu !

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant