La caravane du Pirate se traînait dans la plaine où mourait un désert. Les ânes transportaient des caisses de marchandises, les tentes, les butins amassés. Hommes et femmes s'enrobaient de turbans pour se protéger du soleil. Ils marchaient aux côtés des animaux d'un pas lent. Armés d'arcs et de flèches, ainsi que de courts sabres pour les combats au corps à corps, ils étaient vêtus de cuir, de hardes, de robes volées ou de jupes rapiécées. Lorsque les bergers les voyaient apparaître au loin, ils se hâtaient de déguerpir en poussant leur troupeau devant eux. Personne ne voulait se trouver sur la trajectoire des pirates du désert. Au mieux, on était abattu, au pire on était pris vivant. Sachant ce qui advenait des prisonniers, on pouvait s'estimer chanceux si on était vendu comme esclave.
Nue tête sous le soleil, Louvain était drogué et attaché au bât d'un âne. Les lèvres craquelées, les yeux fiévreux, il se faisait ballotter au rythme de sa monture. Sa nuque pendait sur le côté. Ses côtes étaient meurtries, la chair de ses poignets liés entre eux était ouverte. Les mouches s'y agglutinaient pour sucer son sang. Elles se pressaient sur ses paupières gonflées.
Sur les bêtes devant lui, terrifiés, Edên et Mahên se collaient au sol de leurs cages d'osier. Edên gémissait, Mahên mordait les barreaux à s'en déchirer les babines. Cela amusait les hommes. Ils la piquaient de la pointe de leurs épées. Ils riaient. Edên feulait, les oreilles plaquées en arrière. Quand Louvain ne divaguait pas, secoué comme un sac de dattes, il unissait son esprit à ceux des guépards. Tous trois trouvaient refuge dans la présence des autres. Le reste du temps, il perdait conscience dans les bras des fleurs du sommeil.
Un matin, alors que la caravane pliait le camp, un homme velu comme un singe l'attacha derrière l'âne.
– Avance ! lui ordonna le Pirate.
Louvain fut forcé de marcher, au lieu d'être ballotté comme une marchandise. Son esprit s'éclaircit avec le passage de la journée. Il en déduit qu'ils avaient cessé de le droguer.
En amont de la caravane, une femme athlétique, anguleuse, aux cheveux crêpés, ligotée tout comme lui, trébuchait. Enfermés dans des cages, des chiens se faisaient secouer, groggy et apathiques.
À sa hauteur, un homme hideux, défiguré par une tâche de naissance, chevauchait un grand onagre.
– Je te reconnais, articula Louvain, la bouche pâteuse. Tu es un prêtre du temple d'Inive.
– Sûr que mon visage passe pas inaperçu.
Lie-de-Vin essuya la sueur qui perlait de son front malgré la brise. Il était convaincu que tout le monde le méprisait à cause de sa laideur, mais il ignorait qu'il était surtout détesté pour la noirceur de son âme.
Louvain prit en compte les étendues désertiques.
– On est loin d'Inive.
Sa mémoire lui revenait par bride. Il avait quitté la maison de Zak, il remontait l'avenue. Il dut se concentrer pour retrouver le dernier souvenir avant qu'il ne perde conscience : l'obscurité des entrepôts.
– Est-ce que Khaled est derrière mon enlèvement ? demanda-t-il au prêtre.
– Vous, les Shangaïn, vous nous avez contrariés, les al Khali et moi, ainsi que tous les marchands d'Inive. Interdire les esclaves de l'autre rive ! La fin d'un commerce juteux avec les Kâgn. Sans compter que j'ai perdu toute une cargaison durant la cérémonie sanglante.
Il désigna la femme qui titubait devant eux.
– Ils ne m'étaient plus d'aucune utilité.
– Les Kâgn ?
Louvain comprit que les molosses encagés appartenaient à la chasseuse d'homme. Qu'est-ce qu'ils nous veulent ? Le vent chargé de sable brûlait ses paupières. La gorge sèche, il mourrait de soif.
Lie-de-Vin pérorait :
– Les Shangaïn ont coulé mon commerce. Je me suis dédommagé.
– Et les al Khali ?
– Ils font leurs petites affaires avec les Pirates !
Le prêtre ricana, puis talonna son âne pour s'éloigner.
La langue lourde, les gencives irritées, une envie de meurtre au fond du ventre, Louvain tirait sa conclusion. J'ai été vendu aux Pirates !
La lente progression de la caravane visait la Grande-Eau, mais se laissait dévier de sa trajectoire par l'attrait de pillage, un camp nomade, un berger solitaire ou toute autre proie. Après avoir capturé le troupeau d'un gamin qui s'était enfui en abandonnant ses bêtes, le Pirate prouva à ses hommes qu'il pouvait broyer le crâne d'un cabri entre ses pognes. Il s'essuya les éclaboussures de cervelle sur la poitrine de son voisin avant d'empocher les paris gagnés : bracelets de perles, boucles de ceinture en bronze, broches d'ivoire, pendentifs en coquillage.
Les pilleurs avalèrent une soupe de sang pendant que les chèvres rôtissaient. Toute la nuit, ils s'enivrèrent autour du feu. Une femme à moustache jeta à Louvain des morceaux de viande au sol. Il dut se débrouiller pour se nourrir à quatre pattes, les mains liées.
Mahên était enragée. Elle détestait avoir faim, elle feulait, babines retroussées. Louvain s'avança vers elle, un cuisseau entre les dents. Il la calma en la dorlotant dans sa tête. Elle le fixa de ses iris dorés. Les longues stries de chaque côté de son museau frémirent. Elle était couverte de cicatrices qu'elle ne léchait même plus. Les excréments collaient à son pelage. Louvain approcha son visage, il poussa le gigot à travers les barreaux. Mahên s'en saisit délicatement. Elle grogna de plaisir.
– Tu as raison, Lie-de-Vin, fit remarquer le Pirate. Le sauvage est à moitié guépard !
– Ça promet ! renchérit la femme à moustache. Je rajoute aux paris, ma part du butin de ce voyage.
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Ficción históricaDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...