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Les grenouilles s'appelaient, se répondaient, se cherchaient, copulaient. Les serpents glissaient entre les carcasses des éléphants. Les os blanchis par le temps sortaient des marécages, une forêt pétrifiée sous la lueur de la lune. Une vieille femelle vint renifler une dépouille échouée dans les marais. Elle ondula d'avant en arrière, sa trompe caressa une dernière fois une amie, une amante peut-être. Elle barrit. Son chant sourd remplit soudain la nuit de sa tristesse inconsolable.

Allongé dans son cercle d'ivoire, Diyako écoutait les adieux de l'éléphante. Sa solitude, son au revoir à la vie le transperça. Lui aussi, il avait voulu se laisser avaler par les marais. Les défenses se découpaient dans le ciel étoilé. Il sentait cette affinité avec ces anciennes créatures, imposantes, au pas léger. Une chauve-souris fendit l'air de son vol saccadé.

Autour du feu, les rescapés passaient leur soirée à échanger leurs histoires, ils se rappelaient leur lutte. Victoires ou défaites. Kamni et Raji avaient dressé un bûcher funéraire pour Malaika, esclaves et Crey confondus avaient prié pour elle. La morsure à la jambe de Nouz avait guéri. Il était parfois pris de douleur dans ses articulations, il boitait, mais le danger semblait écarté.

Shanga, protège Nouz, qu'aucun malheur ne lui arrive !

Diyako inspire son inquiétude. Il expire lentement. Comme dans la falaise lorsque Raji lui avait enseigné la danse de l'équilibre entre Ciel et Terre.

Il inspire encore, il cherche l'odeur minérale des rochers, mais ne trouve que la putrescence de l'eau stagnante. Le chant de l'éléphante s'étire, déchirant. Elle se laisse mourir.

Diyako ressent son barrissement jusque dans son ventre. À travers les trous de son masque, la lumière tamisée de la lune n'atteint pas ses iris sensibles.

Il se lève, se dresse sur la pointe de ses pieds, reste en équilibre, le souffle suspendu. Ses mains caressent les constellations. Il inspire la tristesse de l'éléphante, la solitude des marais. Il expire.

Il se baisse, tourne sur lui-même, il entame une danse lente.

Il inspire les violences que relatent les esclaves, la brutalité des cités. Il expire.

Il frappe le sol de ses pieds, accélère ses gestes.

Il inspire les aboiements de la meute de molosses, les flèches kâgn, les corps calcinés.

Il inspire l'abîme des sables mouvants, la sensation inéluctable de la vase sous ses aisselles, son envie d'en finir, les ténèbres de son âme, la terreur de Nouz. Il expire.

Les constellations glissent, la lune traverse le lac de la nuit. Le chant de l'éléphante faiblit. Elle se couche dans le marais. Son flanc est soulevé d'un souffle haché. Son barrissement roule, chaud, comme du feu dans une caverne.

Diyako dessine des arabesques, repeint la voûte céleste de ses souvenirs. Il inspire. La longue veille de Raji, mort d'inquiétude, alors que son esprit errait près du voile, se frappait aux cités, se cognait à ses visions. Une avalanche d'émotions se déverse dans ses veines. Il expire.

La poitrine compressée, il inspire les effluves nauséabonds et sa cohorte de souffrance, sa peur du futur, sa peur pour les autres khoutuka, pour sa tribu.

Ses jambes se plient, son dos se courbe. Il inspire les odeurs de la terre, aspire sa force ; les coassements rythmés des grenouilles ; le clapotis du Zagr ; le chant fatigué de l'éléphante. Il se tend vers le ciel, il expire.

Son esprit se calme. Il laisse tomber sa cape au sol. La fraîcheur nocturne caresse sa peau nue. Il effleure son ventre, ses cuisses, ses veines palpitent. Il inspire. Il défait les lanières de son masque, le dépose sur la cape. Il goûte la brise sur ses lèvres. Le souffle de l'éléphante s'arrête. Le silence remplace ses sourds barrissements.

Diyako ouvre les yeux. L'ivoire brille d'une lueur sombre, un halo, un dôme protecteur qui émane des marécages. Il l'inspire. La voûte céleste est si belle traversée de la semence de chaos. Il se cabre vers la lune, délicatement entre ses paupières mi-closes, il reçoit la lumière de Kira-la-blanche.

Il se rappelle l'enseignement de Raji, dans la grotte. Il venait d'être nommé khoutuka, il ne se croyait pas capable de lui succéder. Il inspire ses doutes. Bientôt, les Shangaïn de l'autre rive allaient arriver, porteurs de l'esprit mutable qu'ils amèneraient à Hadenne. Il inspire la terreur que cela provoque. Lentement, il expire. La tête renversée, il tourne sur lui-même, le ciel vrille. Il expire.

Il est ancré à la Terre, porté par la force de l'Éléphant, son esprit soulevé par l'Aigle s'élève, libre.

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Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant