Personne ne vit le danger arriver. La meute de chiens surgit au sommet de la colline et déjà les Kâgn encerclaient le camp des réfugiés Creys.
Le Tatou, allongé sous un toit de roseau, sa jambe blessée emberlificotée devant lui, eut tout juste le temps de lancer son couteau. Il se planta dans la gueule ouverte d'un mastodonte. La bête tomba en couinant.
Coz-le-Bélier en atteignit un autre d'une flèche. Maintenant, les chiens aboyaient à en perdre leurs poumons. Pivert sentit le sang se geler dans ses veines.
Diyako se redressa. Les six défenses d'ivoire marquaient les horizons. Un amas d'ossements recouvrait le sol, aucune palissade. À travers les trous de son masque, il aperçut des ombres se frayer un passage parmi les carcasses d'éléphant. À ses côtés, Nouz décochait ses flèches. Un chien s'arrêta, tremblant, une pointe fichée dans son poitrail. De la bave rouge sortit de sa gueule.
La panique s'empara de Diyako, il n'y voyait rien. Le son assourdi par le cuir bourré devant ses oreilles maintenait la réalité de l'attaque dans un brouillard. Soudain, Nouz cria. Il ne distinguait pas ce qui se passait à côté de lui ! Il arracha son masque. La lumière transperça ses pupilles. Tout était brûlant, comme un désert chauffé à blanc. L'ombre immense d'un molosse s'en prenait à Nouz, ses grognements déchirèrent ses tympans.
Shangaïn, Creys et anciens esclaves retrouvèrent leurs esprits, ils se positionnèrent dos à dos. Ils lançaient des projectiles sur la meute qui arrivait ventre à terre, le poil des échines dressé. Pivert décochait pierre après pierre avec sa fronde. Elle faisait mouche à chaque fois. Des femmes creys se dirigèrent vers un énorme clébard noir, leurs piques à bout de bras. Ifé-la-forte et Malaika brandissaient leurs bâtons devant elles pour tenir les mâchoires bavantes à distance. Les archers Creys faisaient le plus de dégâts, décimant une bête après l'autre.
Des flèches s'abattirent sur leur groupe. Coz tomba. Pivert se précipita vers lui en hurlant. Elle l'avait sauvé des hangars de Lie-de-Vin, ils avaient combattu ensemble dans le temple d'Inive, ce n'était pas pour qu'il meure dans une attaque kâgn. Elle pressait ses mains sur sa blessure.
Diyako trouva à tâtons le harpon offert par son oncle Karma. Il le plongea dans le cou du molosse qui s'acharnait sur la jambe de Nouz. La bête voulut se retourner contre lui, mais Diyako ne lui en laissa pas le temps. Il enfonça l'arme jusqu'à la hampe et appuya de toutes ses forces.
Les Creys se déployèrent. De leur position élevée, ils gagnèrent l'avantage sur les Kâgn qui gravissaient la colline derrière leurs chiens. Surpris par la résistance inhabituelle, les assaillants repartirent à la course vers la plaine. Les molosses suivirent la débandade.
Après un instant d'étonnement, tout le campement s'élança.
La colère déformait les traits d'Ifé-la-forte. Elle avait survécu, elle s'était échappée, elle avait réussi à retrouver sa liberté. Ce n'était pas pour être vendue sur un marché aux esclaves une nouvelle fois ! Elle cavalait au coude à coude avec les Creys.
Ils prenaient pour cible les fuyards. Il ne restait bientôt plus que deux silhouettes qui s'enfuyaient dans la savane.
Une flèche se planta dans la nuque de l'un. Le Kâgn s'écroula. Ifé l'enjamba sans s'arrêter. La haine dévorait ses entrailles. Plus jamais elle ne voulait avoir peur de ces gens. Elle avait gagné une terre libre, elle allait la défendre.
Dans son point de mire, un guerrier s'échappait dans les hautes herbes. Ifé accéléra, ses grandes foulées portées par une sainte colère. Elle planta sa pique entre ses omoplates. Le chasseur d'hommes s'écroula.
S'il y avait des survivants cachés, ils rapporteraient de sinistres nouvelles dans leurs villages. Les enfants du Zagr n'étaient désormais plus des proies faciles.
Les deux mains pressées sur le ventre de Coz, Pivert criait :
– Reste avec moi ! Reste avec moi.
– On va te bander ! Ça va aller, le rassura Kamni.
Coz suait à grosses gouttes. Pivert ravalait ses sanglots en maintenant serrées les lèvres de la plaie.
Une battue fut organisée pour achever et dévaliser les assaillants. C'était la vengeance de tout un peuple qu'on allait fêter cette nuit-là.
Sur l'autre versant de la colline. Diyako s'était écroulé sur Nouz. La jambe de l'acolyte saignait abondamment. Diyako y noua un garrot. Nouz était pâle, ses cheveux plaqués par la sueur. Le soleil heurtait Diyako, la peur affolait ses battements cardiaques, ses oreilles sifflaient si fort qu'il entendait à peine les gémissements du chien qui agonisait en travers de son cercle d'ivoire. Des larmes opaques troublaient sa vue. La violence de l'attaque et de la lumière avait provoqué de nouveaux saignements dans ses yeux.
– Je vais chercher de l'aide, haleta Diyako.
– Attends.
Diyako se tourna vers son ami.
– Aujourd'hui, c'est moi qui te dois la vie.
– Tais-toi, idiot.
Il n'y voyait rien, à quatre pattes il se dirigea vers le campement.
Le groupe silencieux se penchait sur une figure au sol. Diyako se fraya un passage. Il découvrit, morte dans son sang, Malaika. Une flèche plantée en pleine poitrine.
Diyako posa ses mains sur le visage encore tiède. Une vie sauvée sur la rive occidentale, que les dieux reprenaient sur leur rive. Elle lui avait permis de comprendre qu'en aidant les autres, il trouvait le chemin vers la lumière, mais à quoi bon, si c'était pour finir abattue comme une bête. La noirceur des hommes descendit sur lui. Il cria sa rage. Une poigne le tira en arrière. Raji le calma :
– Elle traverse le voile en femme libre. C'était son khou.
– C'était la cupidité des Kâgn !
Diyako suffoquait :
– À quoi bon ramener une âme vers la lumière si c'est pour qu'elle traverse aussitôt le voile.
– Elle est en paix, Diyako. Tu ne peux pas lui offrir la vie. Seuls les dieux ont ce pouvoir.
Diyako se dégagea des mains bienveillantes de Raji.
– Nouz est blessé, il a besoin d'aide.
– Toi aussi, tes yeux saignent.
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Fiksi SejarahDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...