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La tribu se découpe en une ribambelle de silhouettes devant la nuit noire. Raji rejoint Diyako en marmonnant :

– Nouz a insisté pour venir. Il a refusé de rester allongé dans la grotte.

Sa jambe enflée, bandée, l'oblige à s'asseoir. Il frappe la peau de cerf, il n'est vêtu que de la lueur des flammes. Le sorcier a perdu son manteau fait de fourrures de bêtes dans sa fuite devant les Kâgn. Seul le pendentif sculpté par Nouz orne sa poitrine.

Des enfants chahutent entre les adultes. Leurs mères les rappellent près d'elles. De la tente des Scorpions s'élèvent les cris de Clémence.

Un cerf capturé et ligoté par les chasseurs râle dans la nuit. Raji caresse son flanc. Diyako parle à l'animal, il lui implore d'offrir sa vigueur à la tribu réunie. Le brame cesse soudain. Il regarde les sorciers de ses gros yeux marron, il s'abandonne. Un muscle tressaille, soulevant une onde sur son échine. D'un geste sûr, Diyako plante son aiguille d'ivoire gravée de symboles dans la veine du cou. Il accueille l'esprit du Cerf, le remercie pour sa vitalité. Il laisse tomber quelques gouttes de sang dans le feu qui crépite, puis il enfonce la pointe rouge sous son mamelon gauche. Raji se réjouit, Diyako remplit sa fonction avec la force de la jeunesse. Des épreuves l'attendent encore, mais le vieux sorcier le voit, Diyako trouve sa place en accomplissant les rites.

Banou et Topaze recueillent un sang épais dans des bols d'argile qu'elles passent à Cendre et Gavra. Les envoûteuses font le tour des Shangaïn. Elles pressent leurs pouces entre les sourcils de chacun, y laissant une empreinte rouge sur les étoiles scarifiées.

Narcissa, Jaim et Zak reçoivent la marque de Shanga sur leur front de la main de Cendre. Zak observe l'ancienne nourrice de la reine d'Inive. Au milieu de son peuple, une nouvelle force l'habite. Elle lui fait penser à la corolle d'une fleur après la pluie.

Soudain, la vision de Gavra passe à celle du monde des esprits. La tribu ne forme plus qu'un seul nuage lumineux aux couleurs de l'arc-en-ciel. Les forces de vie des sorciers, orangée pour Raji, blanche pour Diyako s'élèvent comme des geysers. L'ambre de son clan la relie aux autres envoûteuses. Les rouges du clan du Loup unissent Louvain à sa grand-mère. L'énergie pourpre qui flotte autour de Cendre s'étend à Jaim.

La semence de chaos pétille à travers la voûte céleste. Les cimes des arbres ondulent. Les oiseaux nocturnes s'éloignent du campement où la musique fait vibrer la plaine.

Le machaî sacré coule dans les veines des sorciers. L'azullu fouette leur sang. Traversés de pulsions, leurs membres tendus vers le ciel tressaillent aux battements de tambour. Ils balancent les forces de vie et du trépas. Diyako tourne sur lui-même, il frappe le sol en rythme. Les os de l'éléphant tintent. L'ivoire lui couvre les chevilles, les poignets, le scrotum, la poitrine, les boucles d'oreilles valsent avec ses pas. La danse de la nuit de Shanga le possède.

Un enfant crie, tétanisé par l'apparition des sorciers dont les ombres gigantesques assombrissent le cercle sacré.

Tous les clans se mettent à sautiller. À chanter, à battre des mains. Yahya a trouvé Abel, comme une ancre, un point fixe dans l'univers flou qui l'entoure. On ne sait qui des deux soutient l'autre. Kary s'est attachée au pas de Véra, elles serpentent entre les Shangaïn. Elles portent des coupelles où l'azullu dégage son parfum envoûtant, bientôt les sens des Shangaïn s'ouvrent aux esprits.

Le Troisième-Patriarche jette des regards au vieux Fin-Nez et à Karma dont il a hérité l'énorme tarin qui s'allonge encore plus maintenant qu'il atteint la puberté. Il s'approche de Hardi pour danser à ses côtés.

Les percussions transpercent la nuit. Un cercle de chasseurs guidés par Louvain tourne autour de l'Œil de Shanga. Leurs corps peints à l'argile blanche de formes fluides luisent dans la lueur des flammes. Hardi et ses frères, les fils du Tigre, ceux du Scorpion, Thoko le Blaireau et des hommes de tous les clans sautent et frappent des pieds. Leurs bras volent comme des ailes au-dessus de leurs têtes. Louvain, le torse couvert de dessins clairs, toupille entraînant les chasseurs dans son sillage. La danse le possède.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant