Pat entraînait Narcissa dans une vallée qu'il peinait à reconnaître. Il parcourait le chemin inverse dans sa tête sans comprendre où il avait pu se tromper. Pourtant, il aurait juré qu'aucune forêt de chêne n'aurait dû se trouver là. Majestueux, des troncs si amples qu'ils auraient pu cacher un éléphant, il s'en serait souvenu, non ? À l'aller, le paysage était recouvert de neige, des jours durant, les nuages avaient masqué les montagnes. Néanmoins, de tels arbres ne seraient pas passés inaperçus, même dans le brouillard, même sous une couche de poudreuse !
Pris de doutes, il débattait tout seul. Ne devraient-ils pas faire demi-tour ? S'égarer était dangereux, mais perdre trop de temps en aller-retour l'était tout autant. Il ne voulait pas risquer de se retrouver bloqué comme l'hiver précédent. Ils avaient retardé leur départ dans l'espoir futile que la jambe de Corb guérisse en moins d'une lune. Maintenant, l'automne était sur eux. Une neige précoce pouvait les surprendre. Il scruta le ciel. L'absence de nuages le rassura. Il secoua la tête pour chasser son malaise et continua l'ascension de la vallée.
Narcissa ignorant tout de ses doutes le suivait en babillant. Elle embrassait chaque matin le jour nouveau avec une bonne humeur inaltérable. À peine les yeux ouverts, elle se lançait dans des tirades joyeuses qui ne tarissaient que le soir venu, ou sous les baisers de son amant — qu'elle accueillait en grognant de satisfaction. Elle ne se plaignait jamais. Elle dévorait sa part de provision, portait sa charge, cheminait d'un pas volontaire ; d'une disposition enjouée, depuis que Pat se laissait aimer, elle s'épanouissait comme un arbre en fleur au printemps.
Ils se retrouvèrent devant un lac sous une paroi rocheuse. Rouquine pataugea, heureuse de se rafraîchir. Pat s'arrêta net. Je suis jamais venu ici. Ses doutes se décuplèrent. Il essaya de rassembler ses souvenirs. Des vallons croulant sous la neige, les tentatives de bifurquer vers le couchant, des allers-retours. Des arêtes infranchissables. Corb se traînait à sa suite. C'était à peine s'il réussissait à allumer un feu dans des forêts gelées, recouvertes de buissons enneigés. Il ne reconnaissait plus rien. Il aurait souhaité l'avis de son frère, bien qu'il lui ait soutenu ne pas se souvenir du chemin. Histoire de confronter ses sensations. L'anxiété augmentait à chaque pas.
Il proposa de s'arrêter. Il devait calmer ses pensées. Rien ne servait de poursuivre dans la mauvaise direction. Il tut ses doutes à Narcissa, enchantée de la pause. Ils déposèrent leurs bardas, se désaltérèrent au lac. Engaillardis par la chaleur du soleil, ils se baignèrent, puis s'étendirent sur la berge. Narcissa en profita pour se jeter sur Pat. Elle le dévora. Elle avait toujours faim de lui. Elle ne se lassait pas de sa force virile, des frémissements de son ventre ferme comme le tronc d'un jeune bouleau. Pat devenait un prolongement de son corps ; son orgasme, l'extension de son plaisir.
L'assaut de Narcissa égaya Pat. Il s'abandonna à la Jeeranienne, ses soucis oubliés sous la volupté. Une fois ses sens repus, la vague de la jouissance se déversant sur la plage du bien-être, le sommeil eut raison de lui.
Narcissa ouvrit soudain les yeux. Allongée sur le côté, elle découvrit dans son champ de vision une harde de chevreuils. Son arc gisait sur son paquetage, à portée de main. Elle s'agenouilla dans le plus parfait silence. Elle saisit une flèche. Elle choisit sa cible, un jeune mâle, les pattes avant dans le lac, paisible, il s'abreuvait. Elle chassa de ses pensées Corb qui se moquait d'elle, banda son arc. Elle appela l'esprit du brocard comme Pat lui avait enseigné, elle retint son souffle. Quand elle sentit que la flèche et l'animal ne firent qu'un, elle lâcha le projectile.
Le son mat de l'impact fit partir le troupeau au galop. Rouquine se réveilla en sursaut, elle se mit à aboyer à tue-tête. Pat fut aussitôt sur son séant. Le chevreuil blessé s'enfuyait, poursuivi par la chienne. Pat emporta sa bolas, Narcissa encocha une nouvelle flèche. Ils suivirent au pas de course les jappements.
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Shangaïn 4. Les héritiers des dieux
Ficción históricaDernier tome! Si vous n'avez pas lu les autres tomes, je conseille de les lire d'abord ! À l'équinoxe d'automne, les recherches pour trouver leurs disparus entraînent les Shangaïn dans les plaines entre le Tigre et l'Euphrate infestées de conflits a...