La Lune Noire

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Un jour qu'il assistait au conseil du roi à Inive, Mani sollicita Aga Roshan :

– Toi qui sais aligner un temple sur les étoiles, viens aider les Bab'els.

– À quel sujet ? tenta de comprendre Aga Roshan.

– Pour que tous tirent l'araire ensemble, nous allons construire une ziggourat au centre de la nouvelle cité.

S'il était étonné de la requête, le Grand-Prêtre roux ne laissa pas voir son excitation. Élever un temple, il n'allait pas passer à côté de l'occasion ! Il s'empressa d'organiser son déplacement.

Aga Saĝĝu, curieux de constater par lui-même l'installation des rebelles et des pauvres qui avaient déserté les ruelles sous les remparts d'Inive, se joignit à lui. Les ongles impeccables, la barbe teinte soigneusement, il était dévoré d'une impatience qu'il cachait sous de grands discours.

Um'Šidim mourrait d'envie de voir le chantier de ses propres yeux. Il prétexta des conseils à donner à son fils pour se greffer à l'expédition des Grands-Prêtres.

La reine saisit l'occasion attendue. Elle décida de mener la visite elle-même. Elle invita l'Oracle Sisha et la Grande-Prêtresse de Shanga à l'accompagner. Une nuée de serviteurs les entouraient, la nouvelle nourrice portait la princesse En-Iris dans un couffin de roseau rembourré d'une peau de mouton retournée. La rencontre informelle d'Aga Roshan et des Bab'els se transforma en un déplacement officiel de Sa Majesté. Le coracle royal fut apprêté, des gardes montèrent à bord.

Le roi, posté au sommet de la ziggourat d'Inive, brandit son sceptre pour bénir l'excursion de son épouse. Une fois le coracle disparu, il se tourna vers les Monts Zagros indiscernables au levant. Des jours comme celui-là, il rêvait de la seule femme qu'il eut jamais aimée. Son royaume était stabilisé, la famine avait été évitée, il pourrait monter une expédition dans les montagnes. Il prétexterait le besoin de ressources. On avait toujours besoin de bois pour les charpentes. L'aile des entrepôts avait été sapée par les dernières pluies, il pourrait raser cette partie des bâtiments, reconstruire sur les décombres un palais dans le palais, il y installerait Cendre...

Perchés sur des mules, Um'Mani et le patriarche reçurent la visite royale à Qish. Habillé avec zèle pour l'occasion par Zilulu, Mani portait la broche offerte par le roi ainsi que le sceau de sa maison. Ses cheveux indisciplinés avaient été ondulés, retenus par un bandeau. Ēl'Môn avait revêtu un ensemble de laine somptueuse tissé par ses filles. Le châle aux reflets mordorés tombait dans un plissé élégant.

Um'Wasim et Um'Šidim-le-jeune, les maîtres-artisans, se tenaient de chaque côté de l'In-genus. Le prêtre local dans sa meilleure toge et les métayers de Qish s'alignèrent sous le soleil.

À grand renfort de coups de pied au cul, on fit descendre les mules des coracles. La reine, Sisha, Téha, les Grands-Prêtres Aga Roshan et Aga Saĝĝu s'y installèrent. Un instant l'étiquette connut un flottement. Aucun baudet n'avait été prévu pour la nourrice, mais il ne sembla pas convenable que la princesse Iris dût se déplacer, portée par une femme à pied. Mani résolut le dilemme en tendant les bras :

– Elle montera avec le Protecteur de la Princesse !

Sur un acquiescement de la reine, la nourrice lui remit le bébé dans son écrin de laine. Mani serra la petite contre sa poitrine. Elle ressemblait à un oisillon dans un nid de laine. Sa touffe de cheveux noirs avait poussé. Toute ébouriffée, elle faisait penser à un minuscule cacatoès. Il murmura en Shangaïn.

– Coucou petit Ibis, c'est tonton Mani !

En-Iris scruta le jeune homme à la peau sombre.

– Bienvenue à Qish, Princesse. Quand tu seras plus grande, ce sera comme ta deuxième maison.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant