Hadenne

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Confiants que les Kâgn avaient cessé les incursions dans leurs territoires, les clans quittèrent le Gué pour le rassemblement d'hiver.

Les sorciers laissèrent partir les autres devant. Nouz boitait de plus en plus. La morsure du chien était pourtant guérie depuis plusieurs lunes. Ni Raji ni Diyako ne comprenaient les rougeurs qui étaient apparues sur la jambe de Nouz. Elles le démangeaient, mais surtout les douleurs dans ses articulations étaient telles, qu'il avait du mal à suivre l'allure.

Ils ne le dirent à personne pour ne pas entacher l'arrivée des Shangaïn à Hadenne. Ils prétextèrent la collecte de racines, de bourrache, de feuilles de houx.

Diyako tenait les rayons du soleil à distance derrière son masque. Par contre, la douleur de Nouz était impossible à repousser. Depuis qu'il souffrait, et que Raji s'en rongeait les sangs, c'étaient de nouveaux assauts minant sa sérénité. Nouz avait pris une place dans sa vie comme aucun autre avant lui. Il était la lumière dans les ténèbres, son Zénith, son espoir en des lendemains meilleurs. Il ne pouvait s'imaginer qu'il lui arrive malheur. Nouz le gardait du bon côté d'un équilibre mental précaire ; sans lui, il sombrerait.

Les forces de Raji déclinaient, les yeux de Diyako saignaient lorsque ses émotions débordaient de son être fragilisé, Nouz ne pouvait plus poser son pied au sol. Appuyé sur Diyako, Nouz atteignit la grotte des sorciers.

Tous trois s'immobilisèrent, ils reprirent leur souffle, une main sur la paroi. Ils saluèrent l'esprit du lieu. Raji installa les fourrures de hyène pour que Nouz puisse se coucher. Diyako s'empressa d'allumer un feu pour chasser l'humidité.

En puisant de l'eau au filet qui s'écoulait de la roche, il contempla la canopée mouchetée de taches rouges, derniers soubresauts de l'automne. La forêt givrée ressemblait à une étendue de cristal dans la lumière d'Avant-Zénith. Un rapace planait en de larges cercles. Diyako eut l'étrange sensation de rentrer chez lui. Il constata que ce n'était plus la tente de Véra qui éveillait ce sentiment, mais cette grotte qu'il avait découverte l'hiver précédent. Au malaise de son clan, aux œillades de la tribu, il préférait sans hésitation l'intimité des sorciers.

– Je comprends que tu reviens ici, Raji, affirma-t-il en s'asseyant près de lui.

– C'est plus qu'un endroit familier, acquiesça Raji.

– C'est là où l'on a envie d'être, fit écho Nouz, sa jambe douloureuse étendue sur les fourrures.

Raji torréfia une partie des feuilles de houx récoltées en chemin. Les autres, les plus jeunes, il les pilonna, mêlées à des racines de bourrache.

– Encore de l'oreille d'âne ? grommela Nouz qui n'en pouvait plus des décoctions dont Raji l'abreuvait.

Il avait infusé tout ce qui avait un effet antiseptique. L'haleine de Nouz puait l'ail du matin au soir, les vieilles feuilles de bourraches poilues lui râpaient la langue.

– Cette plante va sauver ta jambe.

– Véra m'a donné de la poudre d'absinthe, s'en mêla Diyako. Elle pensait que ça pouvait aider mes yeux. Autant l'utiliser pour la jambe de Nouz.

Raji renifla le sachet.

– J'en mets une pincée dans la mixture, le reste on va le faire fermenter avec les baies de houx, ce sera plus efficace.

– Et tes yeux ? s'inquiéta Nouz.

– Ta jambe d'abord, décréta Diyako. Si c'est une infection, on ne veut pas qu'elle se propage.

– Voilà le fils de la guérisseuse qui parle.

Diyako haussa les épaules. Il avait toujours adoré observer Véra. S'il n'en tenait qu'à lui, il aurait tout aussi bien pu continuer à apprendre le secret des plantes. Grâce à Raji, il avait découvert d'autres usages. Dans les marais, Kamni lui avait enseigné les vertus des nénuphars, des lys, d'algues que Véra ne connaissait pas. Il tenta de rassurer Nouz autant que lui-même :

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant