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Les voyageurs s'arrêtèrent. Depuis la crête qui dominait Hadenne, ils contemplèrent le campement des Shangaïn. Un rayon de soleil creva la couche de nuages. Une coulée de lumière embrasa le feuillage clairsemé des bouleaux. L'or brilla sur le visage de Gavra, pétilla dans les yeux de Louvain. Ils étaient de retour. Des sommets, leur parvenait une odeur de neige, de la plaine, celle de la fumée des feux. Le Zagr étincelait. Une promesse de joie à venir.

Gavra prit une longue inspiration. Sa fourrure d'un blanc immaculé sur les épaules, la puissance de sa monture entre les jambes, elle était nimbée de chaleur animale dans l'air sec de l'aube. Qu'elle semblait loin, la petite fille impatiente de devenir khoutuka, qui rêvait d'être choisie par les chasseurs. Depuis combien de lunes n'avait-elle pensé à ses cousines, à l'état de Rèze, sa mère si discrète, retirée dans son monde ? Elle chercha à distinguer les tentes entre les branches des derniers arbres. Son cœur s'emballa en découvrant les verts de Ziba, la matriarche des enfants du Saule.

– Le clan du Loup est déjà arrivé, fit remarquer Louvain du haut de Simoon. C'est cette tente au rouge de grenade.

Il désignait la tente d'Eda au centre du campement.

– Le rouge grenade, sourit Zak.

– Le rouge grenade, confirma Louvain en lui adressant un clin d'œil.

– Quel rassemblement ! s'exclama Liro, vous êtes sûr qu'on sera bien reçu ?

Louvain répondit :

– Tout ira bien ! Vous serez protégés par la loi de l'hospitalité.

Akira fixait le campement. Convaincre les fils du Volcan de les laisser accompagner le troqueur shangaïn n'avait pas été aisé. Pourtant la fougue de sa jeunesse l'avait emporté sur la méfiance des anciens. Aussi rien n'était décidé. Liro et elle participaient aux fêtes d'hiver des Shangaïn à leurs risques et périls. Personne ne volerait à leur secours ni ne les vengerait s'il leur arrivait quoi que ce soit. Il n'était pas question de recommencer une lutte fratricide sur un coup de tête. Que l'époque soit secouée de changements, les vieilles barbes en doutaient. C'était une rengaine de jeunes gens. Toujours la même, de génération en génération.

– Et ça ? C'est une rengaine ? avait demandé Liro en brandissant sa lance de bronze.

Akira savait que son monde avait volé en éclat. On ne faisait pas tourner les saisons à l'envers. Elle caressa la dague à son flanc. Son pouce effleura la lame effilée. Elle n'avait pas besoin d'autres preuves. Son destin était en marche. Elle allait la tête haute. L'étoile tatouée sur son front la marquait comme une fille du Volcan. Elle allait rencontrer la tribu ennemie, elle comptait faire honneur à ses ancêtres.

Liro balançait sa lance à bout de bras. Les scarifications noires encadraient son visage. Il n'avait jamais pris la vie d'un homme, mais il se sentait prêt. Louvain lui avait offert sa confiance. Il lui avait prouvé sa droiture. Maintenant, à lui de se montrer à la hauteur du Shangaïn.

Gavra laisse son attention glisser dans le monde des esprits. Cela est devenu une seconde nature. Elle passe d'une perception à l'autre, comme on allie l'odorat, la vue et l'ouïe en traquant une bête dans les sous-bois.

Le Busard d'Akira prend de l'altitude. Celui de Liro la suit. Au centre du campement, le Cerf de Raji rayonne de sa lumière orangée. Tout près, il y a le Hibou couleur de nuit de Topaze. Un puissant Rhinocéros se dresse sur ses courtes pattes robustes. Gavra le scrute, intriguée, puis elle constate qu'il en émane le parfum de Banou ! Cet Aigle Blanc qui la survole, oui, c'est bien Diyako. Et voilà la Mangouste dont l'odeur enveloppe l'Ibis Pourpre de Cendre ! Le cœur de Gavra tressaille à l'air comique de son ami. Les Scorpions sont aussi là, rassemblés. Il y a un Bélier trapu qu'elle ne connaît pas.

Shangaïn 4. Les héritiers des dieuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant