Prologue

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Mon ami a retrouvé son espièglerie d'antan depuis notre récent accord, ce qui suggère que tout n'est pas totalement fichu pour lui. Et qui dit espoir, dit victoire !

Aucune surprise cependant. L'enfoiré a truffé les termes du contrat de tant de pièges que cela semble vouée à l'échec.

Qu'importe !

Rien ne me stimule plus qu'un défi à relever, et j'attends justement l'arrivée d'Edgar.

Mes doigts effleurent mon torse avec la légèreté d'une plume, caressant les contours de la cicatrices telle une ombre indélébile ancrée sous ma peau. Mais très vite, un vertige brutal et implacable, m'arrache une grimace que je chasse en m'accrochant désespérément au lavabo. Mais rien n'y fait. Le traumatisme s'accroche comme une bête tapie dans l'obscurité, prête à resurgir au moindre faux pas.

Hésitant, je n'ose affronter le reflet qui m'attend devant le miroir. La lumière blafarde éclaire à peine mon visage, d'autant que ce spectre brisé n'est autre que moi. Un homme au regard vide, dénué d'étincelle.

Mes yeux s'attardent à nouveau sur la blessure, rappel constant de la fragilité humaine que je tente de fuir. Heureusement, la cicatrisation est étonnamment rapide, mais j'aimerais pouvoir en dire autant des séquelles. Elles rôdent dans les recoins de mon esprit, déchirant mes nuits d'une agonie sourde et infinie. Chaque fois que je m'abandonne au sommeil la scène se répète inlassablement comme un tableau figé dans le temps, jusqu'à ce que la bulle éclate. C'est là, et seulement à ce moment-là, que l'horreur me frappe de plein fouet.

Tout s'est joué en une fraction de secondes.

La scène m'a semblé si irréaliste que je n'ai saisi la gravité de la situation qu'en voyant mes mains ensanglantées pressées contre ma poitrine. Je me revois, là, stupéfait, les pressant désespérément contre une plaie béante que je ne pouvais refermer. La lame m'a transpercé de sa pointe froide et aiguisée, s'enfonçant dans ma chair avec la finesse d'un poison. Un choc qui m'a cloué sur place.

Je m'approche du miroir. Mes doigts frôlent la surface du verre, traçant une ligne invisible sur mon reflet. Je ne reconnais plus l'homme que je suis devenu. Mes imperfections, les cernes sous mes yeux sont un écho de la violence que j'ai subie.Il y a une noirceur en moi, une amertume qui prend chaque jour de l'ampleur. L'homme que j'étais s'efface peu à peu, emporté par une vague d'incompréhension et de colère refoulée.

Tu n'es plus que ruines.

Il m'a fallu frôler la mort pour enfin remettre en question le fondement même de mon existence : cette confiance insensée que je lui avais accordée, ce mépris viscéral que je nourrissais envers les femmes. Entre celles que j'ai injustement rejetées sans une once de remords, et ces autres que je n'aurais jamais envisagé d'épouser, cette mésaventure avait finalement un goût amer de justice.

Mais pourquoi aurais-je dû m'en soucier alors que j'avais entre les mains ce que tout homme désire secrètement ?

Le pouvoir ! Le pouvoir absolu que j'avais toujours pris pour acquis, sans jamais mesurer son prix. La vérité était sous mon nez, mais il m'a fallu tutoyer la mort pour ouvrir les yeux sur l'illusion que je poursuivais.

Un son aigu me tire de ma songerie. La sonnerie familière de mon téléphone perce le silence de l'appartement. Je secoue la tête, laissant retomber le flot de réflexions dans un coin de mon esprit. Ce doit être la réceptionniste. Sans hâte, j'enfile un peignoir et me dirige calmement vers le salon, chaque pas sur le parquet résonne comme un rappel de mon contrôle retrouvé, du moins en apparence.

- Monsieur Ballmer, un certain Knight souhaite s'entretenir avec vous. Dois-je le faire monter ?

Edgar !

BE MINE IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant