La saison estivale touche à sa fin et avec mon contrat à l'Émeraude, laissant Nicolas dans la quête désespérée d'une remplaçante à la hauteur. Ce que j'ai pris pour un compliment, bien qu'il ne l'ait explicitement dit.- J'ai un cadeau pour toi ! Dit-il alors que je m'apprête à rendre mon tablier. Tu es toujours intéressée par ton école de mode ?
Je fronce les sourcils, surprise qu'il s'en souvienne alors qu'il s'en était ouvertement moqué, allant jusqu'à prédire que je finirais par succomber à l'appât du gain, comme tant d'autres avant moi. Cela aurait pu se produire si New-York n'était pas la raison pour laquelle mon père ne me parle plus depuis des semaines, convaincu que mon rêve ne vaut pas la carrière d'un Chirurgien. Dans un sens, il avait raison. La médecine offre davantage à l'humanité, mais il oublie qu'il faut de tout pour faire un monde, et mon truc à moi c'est la haute couture. Aussi, si le bourru qui me sert de patron a pu le comprendre, mon père en était tout aussi capable.
- Pourquoi cette question ?
L'homme aux cheveux grisonnants se gratte la barbe puis finit par me tendre une enveloppe A4.
- Prends-la avant que je ne change d'avis, mais ne l'ouvre pas maintenant. Il marque une pause. Si je me souvient de ton projet c'est parce que ma fille avait cette même passion lorsqu'elle parlait de ses œuvres d'art, mais leur exposition avait un coût. Malheureusement à cette époque nous manquions d'argents, et plutôt que de lui venir en aide je n'ai fait que lui donner du fil à retordre. Quand j'ai voulu réparer mes erreurs, il était déjà trop tard. Elle avait été retrouvé sans vie dans un squat, victime d'une overdose. Je n'ai pas eu le courage de lui dire adieu et me suis enfui en promettant de rembourser ma dette, un jour. Puis tu es arrivé, certes des années après, mais tu étais là, pleine d'ambitions, et j'ai su qu'elle aurait voulu que cet argent te revienne.
Il me faut un moment pour encaisser le coup car il n'était pas uniquement question d'argent, mais d'un père qui refusait de faire le deuil de son enfant. Au-delà du fait que cette enveloppe ne m'était pas destinée je n'étais personne pour l'accepter. Toutefois je me devais au moins de lui proposer une alternative :
- Je suis touchée par ton histoire, mais tu sais que je ne peux pas accepter cette enveloppe. Et si tu en faisais don à une association ? Tu sortirais des centaines de familles de la pauvreté, et très certainement de la drogue qui pullule nos rues.
Il me dévisage, légèrement irrité par mon refus, mais je sais qu'il comprend la nécessité d'en faire bon usage.
- Je vais y réfléchir. Tu as toute ma sympathie et j'espère que tu sais que tu peux compter sur moi.
Je hoche la tête, reconnaissante envers le club et son équipe qui m'ont accueilli et traité comme un membre à part entière de leur famille, en commençant par Nicolas. Qu'importe les apparences, derrière son allure de molosse se cache un homme bienveillant qui veille sur ses poulines malgré ses lacunes en tant que père, et pour cela je ne peux que le respecter. Sarah-même disait se sentir chez elle à l'Émeraude, et elle n'est pas la seule à le penser. Beaucoup de filles sont parties de zéro quand il les a prise sous son aile, et autant que je sache, aucunes d'elles n'a jamais exprimé le désir de quitter le navire, même après avoir atteint un niveau de confort tel qu'elles peuvent s'offrir le moindre luxe.
- Elle serait fière de l'homme que tu es devenu, n'en doute pas.
J'ose essuyer les larmes qui suintent ses joues avant de le serrer dans mes bras. Nicolas n'était pas seulement mon patron, il avait été un mentor pour moi, m'enseignant tout un tas de choses sur la féminité. Mais il est temps de mettre fin à ces pleurs. Je dois partir. Mon patron me tend mes derniers pourboires et me souhaite bonne chance pour la suite.
Ce n'est que lorsque la porte du bureau claque derrière moi, que je prends conscience de ce dont mes proches me pensaient incapable jusqu'à présent. Incapable de me débrouiller, moi qui n'ait jamais eu à lever le petit doigt, sauf à rêver secrètement du jour où, comme Andrea Sachs, je travaillerais pour une grande maison de stylisme. Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Cet univers m'est encore inconnue, et l'école seule ne m'aidera pas à en comprendre les rouages. Pour progresser, je dois faire mieux qu'espérer, et me pencher sérieusement sur la recherche d'une opportunité d'alternance.
Cela fait beaucoup à penser à seulement trois jours de la rentrée, mais je souhaite mettre toutes les chances de mon côté. Enthousiaste, je compose le numéro de ma mère, pressée de lui annoncer la nouvelle.
- Guiliana ma chérie, quelle joie de t'entendre. Tu me manques chaque jour que Dieu fait !
- Vous me manquez aussi...Est-ce que papa est dans les parages ? J'ai quelque chose à vous annoncer.
Elle se racle la gorge, visiblement gênée, puis reprend le combinée après ce qui semble durée une éternité.
- Ton père s'est absenté mais je ne manquerais pas de lui transmettre le message.
Je soupire, comme par hasard ! C'est quand même dingue de blâmer son enfant pour avoir suivit sa passion. Comme si me couper les vivres ne suffisait pas, il veut sanctionner ma désobéissance en choisissant le silence. Pourtant, s'il y a bien une chose que j'ai hérité de lui, c'est ma pugnacité.
- Maman je sais qu'il est là et qu'il m'entend ! Dis-lui que je ne reviendrais pas sur ma décision. D'ailleurs les frais de scolarité sont payés, je commence dans quelques jours.
- Mais, comment...
Je raccroche avant de me faire bombarder que questions auxquelles je serais incapable de répondre sans m'enfoncer dans mon mensonge. Déjà que je me permettais une attitude indigne de mon éducation, je ne veux pas leur donner matière à s'inquiéter.
Moins ils en savent, mieux c'est !
VOUS LISEZ
BE MINE I
RomanceGuiliana est une brillante étudiante en médecine. Depuis son enfance ses parents ont planifié chaque étape de vie, l'encourageant à poursuivre une carrière prestigieuse et sécurisée. Cependant, une passion secrète grandit en elle : la mode. Fascinée...