Chapitre 3

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La visite complète de la maison close avait de quoi faire froid dans le dos. Derrière les rideaux se cachaient des box ouverts avec des matelas. M'imaginer m'y retrouver en compagnie d'inconnus me donna la nausée. Je restai cependant attentive et observai les lieux pour les mémoriser. Aucune issue de côté-ci. Le premier étage se composait de cinq chambres (pour plus d'intimité d'après Barson) et deux salles destinées à la toilette. Mon esprit vigilant consigna la présence de terrasses, dont l'une donnait sur un grand feuillu aux larges branches. Je pris note de cette porte de sortie potentielle dans un coin de ma tête. Au bout du couloir, le bureau du patron et de son assistant me resta fermé, mais son austère entrée en bois sculpté me suffit à comprendre que moins je me rendrais dans cette pièce, et mieux cela serait pour moi. Le deuxième étage était un dortoir. Douze filles y étaient installées, la plus jeune débutait à peine son adolescence tandis que la plus ancienne devait avoir la quarantaine, mais possédait un charisme incroyable. Visiblement, nous arrivions au moment du réveil, bien que l'après-midi fut entamé depuis une bonne heure. La plupart me saluèrent, les autres me toisèrent avec incrédulité. Mon corps se contracta et je détournai le regard sans un mot. Je jetai un œil à travers l'une des petites fenêtres rondes. Trop haut pour sauter. Je restai immobile, refusant tout contact avec les locataires. Monsieur Barson soupira et me ramena au rez-de-chaussée. Il nous installa sur une banquette.

– Bien. As-tu l'intention de me causer des ennuis ?

Non, dans la mesure où j'allais m'enfuir. Mais peut-être que la réponse appropriée était oui. Quoi qu'il en soit, je ne desserrai pas les dents.

– Tu es bien sauvage... Mais tu as la beauté d'une dotée. Pratiques-tu la magie ?

Non. Mais j'entendais le vent me parler, et j'avais été sauvée de la noyade par des forces invisibles lorsque j'avais quatorze ans. Louan, alors âgé de trois ans, était tombé du ponton qui enjambait le bras de la rivière qui coulait près de notre exploitation. Sa nourrice avait hurlé, mais n'avait pas bougé d'un millimètre. J'avais plongé sans hésiter pour le secourir. Ne sachant pas nager, je m'étais débattue comme une forcenée pour ramener mon frère sur la rive. Mais, épuisée par l'effort, je n'étais plus parvenue à me maintenir à flot, et petit à petit, j'avais sombré. La perspective de mourir ne m'effrayait certainement pas autant qu'elle aurait dû, et j'avais vite abandonné la lutte. Toutefois, j'avais senti des mains m'agripper fermement pour me tirer jusqu'à la surface ou un rondin flottant était apparu. J'étais pourtant seule dans l'eau. Louan pleurait dans les bras de sa nourrice, et mes parents, enfin Jeny et Fredrik, étaient arrivés en poussant des cris de terreur. Me croyant fautive de l'incident, j'avais écopé de dix jours de placard au régime pain sec.

Je haussai les sourcils en repensant à cette anecdote, mais gardai le silence.

– Si je soupçonne la moindre trace de magie en toi, je n'hésiterai pas à te faire tuer. Ne te fie pas à mon air avenant, je peux me montrer assez excessif quand il s'agit de protéger mon établissement. Et je ne veux rien avoir à faire avec les Faés et leurs suppôts.

Je hochai la tête tout en pensant que son visage n'avait absolument rien d'avenant, contrairement à ce qu'il affirmait avec dédain. Je commençai à me tortiller sur mon siège : je détestai rester assise. Le manque de mouvement avait des effets néfastes sur ma gestion des émotions.

– Armila, es-tu vierge ? C'est un point important. Si tu refuses de me répondre, je serai obligé d'aller vérifier par moi-même.

Ses lèvres se retroussèrent en une ébauche de sourire pervers. Non, je n'étais pas vierge. Jeny n'avait pas totalement tort : je pouvais perturber le travail des saisonniers, surtout d'un en particulier. Un gentil garçon à peine plus âgé que moi et d'une maladresse amusante. Il venait tous les étés depuis mes quinze ans, jusqu'à ce que mes parents, enfin Jeny et Fredrik, découvrent nos petites escapades dans la grange et le renvoient. Nous ne faisions pourtant rien de condamnable. Son départ ne m'avait pas émue. Je n'étais pas vraiment douée pour créer des liens. J'avais entamé quelques semaines plus tard une nouvelle relation tout aussi dénuée de sens et de sentiments. J'étais bien incapable d'offrir plus à un homme, mais au moins agissais-je en toute conscience en choisissant mes partenaires.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant