Chapitre 14 - livre 2

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La température extérieure était particulièrement basse. L'hiver avait sans doute débuté, je n'arrivais plus vraiment à tenir le fil des jours. Enveloppée dans la couverture rêche, je remerciai le Grand Tout de nous offrir une belle nuit de pleine lune pour éclairer les ruelles nauséabondes de la ville. Lazula, proche de l'exploitation où j'avais grandi, n'était pas une bourgade riche, mais elle semblait mieux s'en sortir que Doline et Rada. Ici, les murs des bâtiments penchaient dangereusement, il manquait un bon tiers des pavés sur la route, un commerce croisé sur deux était à l'abandon et dégradé par des pillards. Un nombre incalculable de détritus jonchaient le sol, bouchant la plupart des caniveaux et contribuant à plonger la ville dans une puanteur parfois à la limite du supportable.

Monessa et moi courions de ruelle en ruelle, sans un bruit. Nous n'avions ni l'une ni l'autre envie de nous faire remarquer. D'autant plus que les rares individus encore présents dans les rues étaient loin d'inspirer confiance.

Après dix minutes, la jeune sorcière était à bout de souffle. Je l'enjoignis donc à retourner à l'auberge. Mais à peine eut-elle quitté mon champ de vision que je l'entendis hurler. Je courus jusqu'à elle et heurtai de plein fouet un homme légèrement plus petit que moi, mais deux fois plus large. Trois autres étaient en train de s'en prendre à mon amie. Deux lui tenaient les bras quand le dernier la pelotait sans vergogne. Je poussais un cri de rage avant d'être propulsée en arrière par le petit trapu. Ma tête percuta violemment l'angle d'un mur, et, sonnée, je lâchai ma couverture. Monessa hurla mon nom. Le temps de me remettre les yeux en face des trous, je réalisai que les quatre agresseurs étaient à présent tournés vers moi, et me regardaient avec envie. Pas étonnant, le haut de mon corps n'était recouvert que par ma lingerie en fin de vie. J'avais quasiment la poitrine à l'air. Je repris rapidement mes appuis, et attaquai le premier gredin. Ce dernier reçut le talon de ma botte dans la mâchoire, coup qui précéda d'une seconde mon poing qui se fracassa sur son nez dans un craquement sinistre. Les deux suivants me sautèrent dessus en même temps, mais j'esquivai d'un vif mouvement en arrière, pas assez ample pour éviter le contact, et malheureusement, je fus légèrement déséquilibrée. Ce faux pas bénéficia au quatrième compère qui s'était rapproché à mon insu. Il me ceintura les bras et la taille dans un grognement victorieux et me plaqua contre son torse. Son excitation, perceptible malgré les couches de tissus, me donna la nausée. Le plus gringalet des types avança vers moi, un sourire édenté aux lèvres. J'étais à deux doigts de faire appel à mes pouvoirs, et tant pis pour la discrétion. Je voulus tenter une dernière manœuvre : je me calmai le temps que mon adversaire se place à une distance bien trop courte. J'envoyai alors ma tête en avant pour lui asséner un puissant coup. Mon agresseur recula vivement en geignant. J'écrasai les orteils de celui qui me maintenait contre lui. J'étais persuadée de lui avoir brisé un ou deux os, mais le malotru ne relâcha pas la pression. Monessa assomma l'homme au nez fracturé avec le couvercle d'un bac à ordure, mais se retrouva bien vite immobilisée contre le mur par son copain. Je tapai du pied de plus belle, réussissant finalement à me dégager de mon adversaire. Mon coude alla se planter dans son torse, lui coupant momentanément la respiration. Puis je lui attrapai la tête et l'abattis sur mon genou levé. Comme nez-cassé, il ne se relèverait pas. J'allais poursuivre mon offensive quand trois autres lascars débarquèrent, sans doute attirés par les cris. Quatre des cinq hommes tenaient Monessa qui me lançait des coups d'œil affolés. Le dernier me saisit le bras et me tira à lui avec un rictus salace. Puis il blêmit. Son regard était passé de ma poitrine partiellement dénudée à mes oreilles à présent dégagées. Fichue pour fichue, autant les mettre hors service. J'inspirai pour faire appel à la magie de l'Air quand une ombre se jeta sur le pauvre type. Ils roulèrent au sol et le lascar se retrouva roué de coups par... Azrel !

Un des hommes hurla de douleur : Faucon venait de lui transpercer la jambe avec ses crocs acérés. Je n'en revenais pas, ils étaient là ! Je ne me laissai pas déconcentrer par leur présence, et soufflai une bourrasque en direction des derniers agresseurs, davantage pour les effrayer que pour les blesser. Monessa était au milieu d'eux, je devais être prudente. Mais seul l'un d'entre eux prit la fuite. Les autres avaient la ferme intention de se battre jusqu'au bout, sans doute poussés par l'alcool. Ils ne virent pas Sidurg débouler comme un fou furieux pour protéger sa belle. Le doté était un redoutable combattant, tout comme Azrel qui s'était relevé pour lui venir en aide. Je suivis le mouvement, mettant en pratique les heures d'entraînements que j'avais à mon actif. Rahim apparut à son tour, essoufflé et en panique. Il serra sa sœur dans ses bras et la berça en retenant ses larmes. J'avais l'impression de frapper encore et encore. Quand un de ces types tombait, un autre le remplaçait. Même en recourant à la magie, j'avais la sensation que ce combat ne finirait jamais. Effectivement, lorsque je pus relever la tête, je m'aperçus que nos assaillants arrivaient par dizaines, toujours plus nombreux. Je décidai donc d'utiliser mes pouvoirs de manière un peu plus agressive.

– Nous risquons de provoquer le courroux du seigneur Donovan, gronda Sidurg entre deux coups d'épée. Les Faés n'apprécient pas que leurs voisins s'en prennent à leur population. Et la rumeur de la présence d'une Sylphe menaçante va se propager comme du pollen.

– Ils se moquent des humains, ripostai-je.

– Pas à l'aube d'un nouveau conflit, ils sont leurs lances de guerre. Oh non...

Azrel, furieux, s'était embrasé. Les récits des badauds feront état de la venue d'une Sylphe et d'un Démon. Nous serions rapidement identifiés. Mon compagnon lançait rageusement des boules de feu autour de lui, ce qui eut le mérite de faire fuir un bon nombre de types. Mais tandis que l'espoir d'en finir une bonne fois pour toutes commençait à illuminer mes pensées, Azrel s'effondra sur les pavés, inanimé. Quatre hommes lui sautèrent dessus. Alors, je ne pus me contenir davantage. Je les soulevai violemment et les expulsai à plusieurs mètres. J'allais renouveler l'expérience quand un bras d'eau me doubla pour aller s'écraser sur les visages de ces hommes hargneux. Je n'avais pourtant pas l'impression d'avoir invoqué la magie de l'Eau.

– Armila ! cria une voix derrière moi.

Je me retournai et vis que nous avions reçu des renforts, et pas n'importe lesquels. Guillem utilisait ses dons pour noyer nos adversaires tandis que Vaëlle jetait une fiole vers un groupe d'humains, les forçant à fuir. Et ils n'étaient pas seuls. Huko, le garde Korrigan croisé à Fytalie, était avec eux. Son odeur citronnée emplie l'espace, et je me fis rapidement la remarque qu'il était encore en train de mâcher son drôle de truc.

– Dame Armila, relevez votre ami et venez avec moi ! Me lança-t-il.

Ni une ni deux, je me précipitai vers Azrel. Mais bien qu'amaigri, il n'en restait pas moins un solide gaillard et sans l'aide de Sidurg, je n'aurais rien pu faire. La rue se vida, et nous suivîmes Huko et Guillem à travers le dédale de Doline jusqu'à la sortie. Nos chevaux n'avaient pas récupéré de leur long périple, et seul Jawal était suffisamment en forme pour envisager de poursuivre la route. Guillem et l'étalon se retrouvèrent avec joie, et comme jadis, nous chevauchâmes ensemble. Vaëlle accueillit sa fille sur sa monture, Rahim s'installa avec Huko, et Sidurg avait la lourde tâche de maintenir Azrel sur sa selle. Faucon, fidèle au poste, leur tournait autour en jappant. À peine partis, des cris menaçants nous parvinrent, signe que toute la ville s'était réveillée pour se liguer contre nous.

– Guillem, comment m'as-tu retrouvée ? demandai-je après une bonne demi-heure.

– Grâce à Lucina, et à vos exploits à Rada.

– Lucina ? Elle est retournée à Fytalie après avoir été attaquée par Faucon.

– En effet, mais elle a envoyé Sanel à notre rencontre pour nous délivrer un message. Il se trouve qu'avec Vaëlle, nous n'étions pas bien loin de votre position. Nos chemins ont débuté différemment, mais semblent s'achever de manière assez similaire.

– Nous n'allons pas au palais de Donovan.

– Mais dans un refuge tout proche. Avec Vaëlle, nous avons loué une chambre à Rada. Des rumeurs d'étranges visiteurs secouaient le village. Et nous avons croisé la route de Huko.

– Que faisait-il là ?

– Il est l'un des derniers Korrigans à avoir quitté Fytalie. Il a choisi un itinéraire lui permettant de circuler dans les bourgades afin de déposer les avis de recrutement.

– Pour former les armées ?

– Oui.

Long soupir. Vaëlle posa sur moi un regard inquiet.

— Lucina nous a informés de l'état d'Azrel... et de bien d'autres choses.

– Comme quoi ? Sa volonté de me voir morte ?

La sorcière baissa les yeux. Guillem marqua un temps d'arrêt, sa respiration accéléra légèrement, mais quand il me répondit, il avait une voix calme et ferme :

– Nous en discuterons plus tard. Huko nous emmène dans un refuge korrigan situé à seulement trois heures de notre localisation. Nous pourrons tous nous reposer, et mettre fin au supplice d'Azrel.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant