Chapitre 23

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Je me frottai les yeux pour être sûre de ne pas rêver. Il était bien là, assis sur le banc en bois un peu bancal, à avaler son potage comme s'il n'avait pas mangé depuis longtemps. Guillem avait les traits tirés. Son beau visage bleu pâle était plus terne que dans mon souvenir. Mais ce n'était rien en comparaison des deux dotés qui l'accompagnaient. Le premier, un grand brun filiforme au visage recouvert de minuscules cicatrices, piquait du nez dans son assiette. Son regard vert était étrange, et je finis par comprendre qu'il portait un œil de verre. Le deuxième, petit et trapus, avait la peau presque aussi noire que Vaëlle. Ses traits étaient en grande partie mangés par son épaisse barbe crépue comme l'était sa chevelure imposante. Ses yeux papillonnaient, signe qu'ils ne demandaient qu'à se fermer, et son repas était considérablement ralenti par ses nombreux bâillements. Pour dire vrai, seule la présence d'Azrel semblait les maintenir éveillés. Le moins que l'on pouvait dire, c'était que le Démon les terrorisait, et le principal intéressé y trouvait un certain plaisir. Qui étaient-ils ? Pourquoi accompagnaient-ils mon oncle ? Visiblement, les réponses devraient attendre que ces messieurs soient repus et reposés.

Guillem avait été accueilli par un long baiser passionné de sa compagne. C'était étrange d'observer cette facette de Vaëlle. J'avais même cru qu'elle allait pleurer d'émotion. J'avais beau les savoir en couple, je les trouvais tellement mal assortis que, malgré cette scène de démonstration affective, j'avais encore des difficultés à les voir comme tel. Si le premier contact de mon oncle fut pour sa bien-aimée, ses mots furent pour moi. Il m'avait attentivement observée en me demandant comment j'allais, si mes saignements s'étaient intensifiés, et après ma réponse un peu trop évasive à son goût, il avait adressé un regard sévère à sa sorcière. Cette dernière lui promit de tout lui expliquer quand il aurait retrouvé un peu de force. J'avais hâte de savoir comment elle comptait lui présenter sa désastreuse tentative de mettre fin à mes misères. Me sentais-je en concurrence avec elle dans le cœur de mon oncle ? Peut-être. J'avais toujours été quelqu'un d'exclusif.

Incapable d'attendre plus longtemps, je racontai à Guillem les progrès que j'avais faits au combat et en lecture. Je lui lus même un (court) poème du livre offert par Rahim. J'avais envie de partager les moments agréables. J'espérais que cela lui permettrait de retrouver plus vite bonne figure. À voir son sourire, je touchais du doigt mon objectif.

– Je crois que je ne t'ai jamais entendue autant parler, s'amusa-t-il d'une voix faiblarde.

J'étais moi-même surprise par mon débit de paroles, et par l'attachement que je ressentais pour ce Faé. Azrel observait mon petit manège avec curiosité, tout comme Vaëlle. Rahim était reparti assez vite, probablement pour écrire ses poèmes. Et Monessa était en pâmoison devant le grand sorcier à l'œil de verre. On aurait dit une jeune fille face à son premier coup de cœur. Je reportai mon attention sur mon oncle. Ses yeux couleur d'opale me couvaient de tendresse, et j'en fus toute retournée. Je posais timidement ma tête sur son épaule et il m'encercla de ses bras.

– Ma précieuse fille, car c'est ainsi que je te considère, je n'ai eu de cesse de penser à toi.

– Moi aussi, Guillem. Mais laisse-moi deviner : tu n'as pas été jusqu'aux sources d'Ewaden.

– Les sources ? Oh, tu veux dire les eaux sacrées. Non, en effet.

– Et ce n'est pas dangereux ?

– Armila, me coupa sévèrement Vaëlle. Nous discuterons de tout cela quand Guillem aura bénéficié d'une bonne nuit de repos.

– Tout va bien, mon amour, le contredit gentiment l'Ondin. Je peux quand même aligner plus de trois phrases sans défaillir. Armila, un Ondin qui ne peut se ressourcer dans les eaux sacrées s'affaiblit. Ma magie et la maîtrise de mon élément seront donc moindres, et je vais progressivement avoir davantage de besoins, en sommeil et en nourriture notamment. Rien d'alarmant, je ne risque pas de mourir.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant