Chapitre 15 - livre 2

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L'arrivée au refuge promis par Huko fut un véritable soulagement. Pour la première fois depuis longtemps, depuis l'attaque du manoir de Vaëlle pour être exacte, je me sentis en sécurité. Le chalet, car il s'agissait d'un chalet, était de taille moyenne et extrêmement confortable. Les murs en lambris, les colonnes de troncs tressés, la verdure omniprésente, les peintures féériques, tout cela donnait un aspect cosy au lieu, et la flambée dans l'âtre acheva de me réchauffer le cœur. Comble du luxe, je pus changer de vêtements ! Huko m'offrit un pantalon en cuir plus épais que le précédent, une brassière plus agréable que le misérable corset sylphe, une chemise ocre en tissu doux et chaud et un pull marron en mailles serrées. Des bottes en excellent état et des chaussettes d'hiver vinrent compléter mon parfait équipement, et je songeais que j'étais décidément bien plus à l'aise ainsi vêtue plutôt qu'engoncée dans une robe de noble facture. Je voulus conserver le manteau d'Azrel, lui laissant l'honneur de s'en approprier un moins usé. Finalement, je sortis de mon bain en ayant l'impression d'avoir nettoyé non seulement mon corps, mais aussi mon âme.

Guillem coiffa mes longs cheveux blond cendré sous le regard attendri de Vaëlle, et agité d'Azrel. Mon Démon avait profité du luxe de notre nouveau point de chute pour tailler sa barbe très court, sans vraiment la raser. Lorsque je lui avais soufflé à l'oreille que je trouvais que ça lui allait bien, il avait frissonné et frôlé la main. Je voyais bien qu'il n'était pas encore tout à fait lui-même, mais il réagissait toujours à nos interactions, avec plus ou moins d'ardeur. Rahim m'avait expliqué que Sidurg et lui l'avaient retrouvé dans les rues de Doline, errant comme un miséreux, à ne plus se rappeler son nom. Quand les garçons avaient voulu le ramener, il avait paniqué et il s'en était fallu de peu pour qu'ils en viennent aux mains. Un cri l'avait arrêté. Mon cri. Il s'était alors repris, et après une microseconde de flottement, il avait accouru à mon secours. Rahim semblait assez troublé par l'effet que j'avais sur lui, mais moi, je savais. Il y avait ce fil qui nous reliait, ce point de contact invisible qui faisait que nous étions deux parties d'un tout. Le Romyx. Depuis l'intervention de Lucina, je sentais qu'il gagnait en force jour après jour. Il fallait le vivre pour réellement comprendre. C'était beau. C'était effrayant. Et si mes amis voyaient le côté positif (empêcher Azrel de se perdre complètement), moi, j'avais réalisé qu'il y avait un revers : s'il tombait, je tomberais avec lui. Évidemment, je n'en dis rien à personne. J'avais bien plus de facilité à parler, à m'ouvrir à mes proches, mais je conservais cette méfiance acquise en vingt années d'humiliations.

Une fois Sidurg sortit de sa toilette, nous étions tous propres et Guillem nous rassembla autour de l'immense table en bois massif directement taillée dans un tronc gigantesque. Une odeur de plantes aromatiques flottait dans l'air : Huko et son étrange addiction. Cela avait le mérite de parfumer la pièce, mais Azrel en paraissait incommodé. Était-ce pour cette raison que le Korrigan le fixait si intensément ? Je pris mon compagnon par la main pour l'installer à mes côtés. Il me dévisagea une seconde, puis ses yeux s'illuminèrent et il se pencha au-dessus de mon épaule.

– Tu ne peux plus te passer de moi, chuchota-t-il dans un sourire.

– Je le crains, lui répondis-je sur le même ton.

Il rit en silence, ce qui fut la plus belle chose que je vis ce jour-là. Mais cet instant de joie ne dura pas. Nous fûmes priés de raconter notre voyage depuis notre fuite du palais de Fytalie jusqu'à notre agression par ces humains hystériques. Rahim et Monessa s'y attelèrent, avec leurs mots à eux qui divergeaient nettement de mes perceptions personnelles, mais je n'intervins pas. Le récit achevé, chacun se perdit dans ses propres réflexions.

– Azrel, de quoi te souviens-tu exactement ? finit par demander Guillem.

– Je t'en prie, soufflai-je, ne l'oblige pas à replonger dans le passé. J'ai vu, j'ai ressenti... c'était...

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant