Chapitre 6

53 8 33
                                    

J'avais trouvé le sommeil aux premières lueurs du jour, dans une maisonnée isolée, bien cachée dans une forêt dense. Guillem avait utilisé sa magie pour nous faire entrer. Il lui avait suffi de poser sa main et d'émettre une sorte de brume bleutée, et l'épaisse porte en bois s'était ouverte. Je m'étais effondrée sur le premier lit que j'avais croisé sans chercher à en savoir davantage sur ce lieu. Mon sommeil fut de plomb. Mais à présent que j'émergeais, tout mon corps me rappela l'immensité de ma peine. J'avais perdu ma famille, ma maison, ma vie, mon passé... et Louan, le soleil de mon existence. Je m'assis en boule sur mon couchage de fortune, qui s'avéra être en réalité un canapé, regardant furtivement autour de moi. Je fus déstabilisée par ce que je vis. La veille, il m'avait semblé entrer dans une petite chaumière. Pourtant, la pièce où je me trouvais était immense et richement décorée dans les tons bleus et verts. De nombreuses peintures représentant la mer ou des cascades habillaient les murs. La sculpture d'une femme nue avec des nageoires au niveau des joues, du dos et en guise de pieds trônait au milieu de ce lieu étrange.

– C'est une nymphe, fit la voix apaisante de Guillem.

Le Faé m'approcha tout en gardant une distance suffisante pour me tranquilliser.

– Ces créatures sont les esprits de l'Eau, et donc les amis des Ondins.

– Elles n'existent pas, ronchonnai-je.

– Bien sûr que si. Chaque élément vit à travers ses esprits. Les nymphes pour l'Eau, les spectres pour le Vent, les gnomes pour la Terre, et enfin les phénix pour le Feu.

Je soupirai, que répondre à cela ? J'étais bien trop ignare pour m'aventurer dans une discussion de ce genre avec un Faé probablement centenaire, voire même millénaire. À la lumière du jour, je remarquais que la peau de Guillem avait un aspect très pâle et légèrement bleuté. Ses longs cheveux blancs encadraient un visage plutôt jeune. Ses yeux d'opale n'avaient rien de mauvais, mais il m'était encore impossible de me défaire de la méfiance qu'ils m'inspiraient. Guillem était un Faé, peut-être même un grand Faé, une créature puissante et immortelle qui régnait sans pitié sur le monde des humains. C'était ce qu'il se disait partout. Enfin, à Lazula.

– J'espérais que tu en aies déjà vu, déclara-t-il avec morosité. Mais tu sembles plus réceptive à la magie de l'Air.

Je repliai davantage mes jambes sur ma poitrine, marquant mon refus d'obtempérer. Comme si j'allais m'épancher sur le sujet. Je repensai pourtant aux voix dans le vent et à l'épisode énigmatique de la noyade.

– J'ai senti les spectres t'envelopper tandis que tu pleurais l'enfant, continua Guillem. Ils étaient bienveillants. Je crois qu'ils cherchaient à te consoler.

Oui... cet air chaud et doux... je l'avais perçu, tout comme le réconfort qu'il avait apporté à mon âme en peine. J'abdiquai, du moins en partie :

– Il se pourrait que, parfois, j'entende des voix portées par le vent.

– Que te racontent-elles ? demanda le Faé avec chaleur.

Que mon véritable destin devait me rattraper, songeai-je. Mais je gardai la bouche fermée. Hors de question de dévoiler mes secrets à cet inconnu, j'en avais déjà trop dit. Dissimuler ses émotions. Cacher ses forces et ses faiblesses. Faire profil bas. Tenir le coup. Je pouvais le faire. Guillem prit un air soucieux. Il leva la main vers mon visage, mais je reculai vivement.

– Tu saignes du nez, me dit-il.

– Ce n'est rien, grognai-je en m'essuyant avec ma manche sans aucune classe.

Le Faé me tendit un tissu que je saisis avec agacement. J'eus plus de mal que d'habitude à stopper l'écoulement.

– Cela arrive-t-il souvent ? me demanda Guillem.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant