Chapitre 1 - livre 2

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Elementals livre 2 : Amie de la Terre


Rahim faisait un bien piètre premier sorcier. Autrement dit, il était le pire des assistants. Vaëlle, sa mère, ne lui avait jamais appris à se battre. En cas d'agression, j'étais bien plus apte à me défendre seule. Il n'avait pas vraiment le sens de l'organisation et ne m'était d'aucun conseil concernant le choix de mes tenues, lui qui se baladait la plupart du temps les pieds nus. Je refusais son aide pour gérer mes journées, et j'étais persuadée qu'il en était soulagé. À vrai dire, c'était bien pour son incompétence et sa nonchalance que je l'avais embauché. Il me fichait la paix, c'était tout ce qui comptait.

Pourtant, ce matin, son regard sur moi se fit sérieux, et même inquiet. Nous étions la veille de ma cérémonie d'introduction dans la famille qui régnait sur Fytalie, royaume des Sylphes. J'allais être officiellement reconnue comme étant la petite-fille d'Alan Paskey, seigneur des Faés liés à l'Air, et donc son héritière. Dans la journée, je rencontrerais Flora d'Ewaden, veuve de mon père et également principale suspecte de son meurtre. Elle venait de passer les six derniers mois à tenter de me retrouver pour me faire subir le même sort.

Mais aujourd'hui, nous scellerions avec elle un serment élémentaire, une promesse inviolable. Nous jurerions sur l'Eau et sur l'Air que mon ascendance ondine ne serait jamais révélée, me libérant du poids de l'héritage de ce royaume. C'était le prix à payer pour ma tranquillité, mais un tel renoncement était pour moi un véritable coup de poignard dans le dos de Guillem, mon oncle et père de substitution. Dissimuler aux yeux du monde ma magie d'Eau, c'était également cacher notre lien de parenté. Et Guillem m'était très précieux, j'aurais préféré mille fois crier sur tous les toits être sa nièce plutôt que d'entrer dans la cour de Fytalie. Mais que dire, je n'étais plus en état de me défendre depuis un bon moment. Rahim pensait-il que c'était cette rencontre avec mon ennemie jurée qui me perturbait ? Peut-être.

J'avais traversé ces cinq dernières semaines tel un pantin sans vie : invisible, inconsistante, inatteignable. Bien cachée derrière ma carapace d'indifférence, je me sentais dépérir de l'intérieur un peu plus chaque jour. Jusqu'à cette nuit.

Au bord du vide d'où je me tiens, j'attendrai sans souffle que tu me tendes la main. Le cœur rempli de ton violent poison, celui qui prend tout et jamais ne redonne, sans lutter, je perds la raison, je ne pus rêver d'une mort si bonne. Jamais tu ne viendras jusqu'à moi, mais je n'ai aucun regret ici-bas. Car j'aurai connu ce que connaîtront peu de gens, ce mal délicieux, insidieux et dément.

Les spectres, esprits de l'Air, avaient murmuré à mes oreilles le poème d'Azrel. Moi qui commençais à envisager d'en finir, j'étais à présent en plein doute.

Azrel.

Son nom était à lui seul synonyme de joie et de malheur. Personne ne croyait en la véracité de notre lien d'âme, le Romyx. Même Guillem estimait qu'il n'avait pas pu entièrement se tisser entre nous. Auquel cas, pourquoi m'aurait-il rejetée après avoir honoré son terrible serment en me livrant à son dément de père ? Pourquoi aurait-il menacé de me faire du mal ? Pourquoi aurait-il émis le souhait de ne plus jamais me revoir ? La magie du Romyx n'était-elle pas censée nous unir de manière irrationnelle ? Inaltérable ? De mon côté, c'était le cas. Il était mon ciel et ma terre. Je savais qu'il n'y aurait personne d'autre que lui. C'était absolument effrayant, mais plutôt mourir que de demeurer sans lui, même s'il avait commis de nombreuses erreurs. J'étais moi-même l'opposé de la perfection. Et je me méfiais des apparences.

Pour être honnête, j'étais intimement persuadée que mon âme sœur était en grand danger à Vourl, auprès de son père, le terrifiant Remokus Darlan. Une part encore vivante de mon être en perdition croyait en l'amour d'Azrel et en sa volonté de me protéger en m'éloignant du royaume des Faés du Feu. Oui, il m'avait dénoncée à sa maîtresse, dame Flora. Oui, il avait probablement précipité les évènements, dont l'assassinat de mon père. Peut-être même y avait-il participé. Mais à ce moment-là, je n'étais qu'un nom, une promesse de liberté s'il respectait son serment en me ramenant à Vourl. Depuis, il m'avait sauvé la vie un certain nombre de fois. Il avait pris de gros risques pour me libérer d'un sort létal qu'il avait lui-même posé à ma naissance pour préserver sa sœur. La plupart de ses torts s'étaient produits avant notre rencontre au début du printemps. Avant que nous partagions tant, lui et moi. Avant qu'il me fasse l'amour comme si j'étais ce qu'il y avait de plus précieux sur cette terre. En me concentrant, je pouvais sentir ses mains chaudes sur ma peau, son souffle haletant dans mon cou, son corps faire pression sur le mien.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant