Chapitre 6 - livre 2

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J'avançais d'un pas raide, le cœur battant à tout rompre. En cet instant, peu m'importait le serment à venir. Seules mes retrouvailles avec Azrel comptaient. Je saluais à peine Rahim. J'essayai de me rappeler les mots tant répétés que je lui adresserais, mais subitement, ma mémoire n'était plus qu'un énorme trou noir. Une angoisse sourde s'empara de moi et je crus défaillir en arrivant en haut des immenses escaliers de la terrasse. Je me rattrapai in extremis à la rambarde en pierre. Les marches ne menaient pas à la salle de réception, mais au patio extérieur qui permettait d'y accéder. Alors que je me penchais pour chercher l'air qui me manquait, mes yeux furent aimantés. Il était là. Par le Grand Tout ! L'espace de quelques secondes, j'oubliai jusqu'à mon propre nom. Mon cœur accéléra tant que ça en était douloureux. Agréablement douloureux. Azrel, si beau dans un costume sombre mettant en valeur sa carrure de guerrier, que je trouvais plus mince que dans mon souvenir, n'était qu'à quelques mètres de moi. Ses cheveux foncés et épais avaient bien poussé et lui arrivaient au-dessus des épaules, dissimulant ses oreilles en pointe. Ses traits, aussi tendus que sa posture, lui donnaient un air de statue sculptée dans un marbre couleur caramel. Il fixait un point imaginaire devant lui, sans ciller. Il n'exprimait absolument rien, pas même sa sempiternelle arrogance. Sa ceinture bleutée décorée de vagues, symbole d'Ewaden, avait sans doute été choisie pour marquer son alliance avec les Ondins de Flora. Bon sang ! Flora ! Elle était là, à quelques mètres de mon Romiya. Je ne l'avais jamais vue, mais je n'avais aucun doute sur son identité .

Les rumeurs étaient fondées : , argenté, mis en avant dans une épaisse et longue tresse qu'elle avait ramené sur son épaule dénudée, comme la majeure partie de son corps. Moi qui jugeais mon décolleté trop affriolant, que dire de la robe bleu océan de Flora ? Y avait-il une pénurie de tissu à Ewaden ? Les bretelles du vêtement se rejoignaient dans la nuque de l'Ondine, laissant à découvert son dos et sa peau laiteuse aux légers reflets d'eau. Son unique jupon avait une coupe asymétrique : traînant au sol d'un côté, mais fendu jusqu'à son fessier de l'autre. Sans grande surprise, elle attirait tous les regards, dont les plus lubriques. Pour dire vrai, seul Azrel ne semblait pas la voir, toujours figé dans sa posture de statue de pierre. Je ne distinguais pas bien le visage de Flora, mais elle parlait à mon grand-père avec passion en agitant ses bras, faisant tinter un nombre incalculable de bracelets dorés. Et son ventre... était rebondi par sa grossesse qu'elle affichait fièrement. Portait-elle mon demi-frère comme elle le prétendait, ou l'enfant de mon amant ? Une vague de rage me submergea, et avant que je fasse une ânerie, Guillem me tira en arrière.

– Armila, contrôle-toi ! Rappelle-toi les enseignements de Lucina. Ne va pas tout gâcher en déchaînant ta magie.

Je hochai la tête, les mâchoires serrées. Ma tante avait été absente trois semaines, mais ses conseils me revinrent rapidement. Respirer, faire le vide. Je devais garder le contrôle.

– Guillem, elle n'est pas prête, souffla Vaëlle.

– Elle n'a pas le choix. Mais nous sommes là, nous ne devons jamais la laisser seule.

– Je vous entends, grognai-je. Ça va aller.

J'avais l'habitude de terrer mes sentiments au plus profond de moi, je pouvais le faire, pour Azrel. Je me redressai, secouai mes épaules et avançai jusqu'à la première marche. Mon oncle vint se placer à ma droite, Rahim, Vaëlle et Monessa derrière moi, comme l'imposait leur statut de dotés. Et j'entamai ma descente, concentrée sur mes inspirations. J'eus vaguement conscience de la présence de Lucina et de mes grands-parents, mais je n'arrivais pas à ôter mes yeux de l'homme que j'aimais. Il continuait de fixer une vigne d'un air absent. Bientôt, je me retrouvai dans son dos et ce fut à ce moment-là que je pris la pleine mesure de ce qui m'attendait. L'angoisse m'immobilisa et je regardai autour de moi avec appréhension. Je remarquai alors que la plupart des convives me scrutaient avec un mélange d'admiration et de méfiance. Le seigneur Donovan et son fils étaient peut-être les seuls à m'ignorer. Ils toisaient Azrel avec sévérité, comme s'ils jugeaient de sa potentielle dangerosité. Je fronçai les sourcils, ne sachant que penser de cette animosité flagrante, et reportai mon regard sur les lieux. Le décor contrastait avec mon triste état d'esprit. Le petit patio était superbe avec sa végétation aux couleurs automnales. En son centre, une magnifique fontaine de pierre crachait un grand jet d'eau ainsi qu'une multitude de filets plus fins tout autour.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant