Chapitre 38

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– Décidément, tu sais soigner tes entrées, plaisanta Rahim. C'est encore plus impressionnant que ton arrivée incendiaire au manoir. Quatre jours à dormir, et un réveil en tornade ! Papy doit être ravi de te recevoir !

– Tu te crois amusant, tête de gland ! le rabroua sa sœur en finissant d'essuyer mes dernières plaies.

Je n'étais pas réputée pour mon humour, mais je devinai que Rahim cherchait simplement à dédramatiser la situation. Encore fébrile, je me contentai d'un regard compatissant pour mon ami. Nos retrouvailles m'avaient redonné un peu de baume au cœur. Quatre jours d'inconscience. Comment se faisait-il que je ne meure pas de faim ? Était-ce ma nature faée qui me rendait plus résistante ? Probablement. Monessa s'agrippa plus fort à mon bras.

– Je ne vais pas m'envoler, lui assurai-je.

– Oh, mais toi aussi tu fais de l'humour ! s'exclama-t-elle en regardant d'un air amusé les horribles trucs qui avaient poussé dans mon dos.

– Les enfants, vous êtes dans les appartements de sa seigneurie, nous sermonna Vaëlle. Merci de vous comporter en conséquence.

Je marmonnai une réponse inintelligible. Je venais d'exploser la verrière de ma royale chambrée, comment voulait-elle que je rattrape ça ! Je caressais machinalement la tête de Faucon. Le gros chien blanc s'était presque jeté sur moi quand mon oncle m'avait sortie de la pièce ravagée.

– Il est tellement miiiignon ! s'extasia la petite blonde en tendant sa main. On dirait un chien-loup ! Oh...

Elle fut coupée dans son élan par un aboiement sec de Faucon, suivi d'un grognement. Elle eut un mouvement de recul et ramena sa paume contre sa poitrine en pinçant ses lèvres.

– Il n'aime pas les étrangers, expliqua Lucina en nous rejoignant. Mais il veille sur Armila depuis son arrivée, comme s'il la connaissait depuis toujours.

Et quelque chose en lui me paraissait également familier, mais je m'abstins de commenter. Pour la forme, j'adressai à l'animal un regard désapprobateur qui me valut une léchouille bien baveuse. Aucune autorité, mais pas de quoi attiser ma méfiance. J'avais dû rêver les avertissements d'Azrel. Si seulement je pouvais avoir imaginé ses horribles révélations.

Vaëlle se leva d'un bond. Guillem revenait à grandes enjambées vers notre table, accompagné de Sidurg. Il se laissa tomber dans le canapé en soupirant. Ses cernes sombres, plus encore qu'à notre séparation, ressortaient tristement sur son visage bleu pâle pendant qu'il nous expliquait l'organisation des prochains jours. Ses cheveux blancs étaient attachés, mais je discernai sans mal les paquets de nœuds qui s'y trouvaient. Je balayais du regard l'ensemble de mes compagnons de route. Tous portaient les mêmes vêtements crasseux qu'à notre départ du manoir : ils venaient à peine d'arriver. Ayant eu connaissance de ma présence sur place, Guillem s'était précipité à ma rencontre sans se soucier de savoir si sa tenue était conforme à une cour seigneuriale. Les autres avaient suivi à leur rythme, me découvrant au milieu des débris de verre.

Je me dégageai doucement de l'emprise de mon amie pour me blottir dans les bras de mon oncle. Cette dernière profita de sa liberté retrouvée pour rejoindre Sidurg, toujours debout. Il lui saisit la main en souriant et la petite blonde m'adressa un clin d'œil complice. J'étais heureuse pour elle, pour eux, mais je ne pus empêcher d'éprouver une forme de jalousie, et le gouffre qui remplaçait mon cœur se contracta misérablement. Dissimuler ses émotions. Cacher ses forces et ses faiblesses. Faire profil bas. Tenir le coup. Je ne voulais rien dévoiler d'intime, mais la douleur était trop intense. Je plaçai mes mains sur ma poitrine en grimaçant.

– Armila ! s'inquiéta Guillem. Que t'arrive-t-il ?

– Azrel, murmurai-je.

Mes compagnons s'échangèrent des coups d'œil soucieux. Mon oncle caressa mes cheveux quelques secondes avant de me demander doucement :

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant