Chapitre 20

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Aujourd'hui était un grand jour.

La veille, je m'étais endormie de bonne humeur. J'avais embrassé Monessa et Vaëlle puisque les deux femmes devaient se rendre au marché avant le lever du soleil. La compagne de mon oncle avait décidé d'effectuer l'aller-retour sur une journée au lieu de trois, mais de prendre Rahim en renfort. Le but étant de me laisser le moins longtemps possible sans sa surveillance, et hors de question aussi de me refaire franchir la protection. Elle m'avait expliqué d'un ton infantilisant à quel point me rapprocher de la civilisation pouvait s'avérer dangereux. À croire qu'elle parlait à une gosse capricieuse. Je m'étais pourtant toujours très bien tenue après mon arrivée brûlante. Et ces quinze derniers jours, une certaine routine s'était mise en place.

Après deux semaines de relation épistolaire avec Rahim, j'étais parvenue à m'enlever (un peu) Azrel de la tête. Je restai perturbée par son bref retour en cellule au sous-sol, mais lorsqu'il avait appris que j'avais pu sortir de la propriété de Vaëlle, il avait voulu faire chanter la sorcière en menaçant Monessa de ses flammes. Il pensait pouvoir obtenir le même droit et fuir. Cependant, on ne pouvait se comporter impunément ainsi avec un habitant du manoir. Azrel l'avait vite compris. J'avais assisté à un spectacle aussi effrayant que fascinant : la rambarde de l'escalier avait pris vie sous mes yeux pour venir s'enrouler autour du corps du Démon tandis que le parquet avait entamé un mouvement de tangage pour le déséquilibrer. La bâtisse, comme douée d'une conscience, avait défendu avec acharnement la jeune dotée. Et d'une simple formule, Vaëlle avait calmé le feu du Faé qui, affaibli par ce lieu, n'avait pas résisté très longtemps. Rahim s'en était mêlé et Azrel avait fini à moitié assommé et trainé de force dans sa cellule où il avait passé quarante-huit heures à ruminer avant d'être autorisé à regagner sa chambre. J'avais obtenu sa libération cette fois-ci, mais Vaëlle avait été très claire : à la prochaine incartade, il resterait dans sa prison souterraine jusqu'au retour de Guillem.

J'avais tenu mes résolutions en poursuivant mon apprentissage des arts du combat seule. Parfois, j'apercevais Azrel au loin. Mais il ne m'approchait pas, à croire que j'étais atteinte d'une maladie contagieuse. Je répétais mes enchaînements inlassablement. J'étais minable, mais au moins, je me défoulais. Je n'avais aucune idée de l'étendue de mes progrès, et si même j'en faisais. Ce qui n'était pas le cas de la lecture. Rahim mettait un peu plus d'entrain dans la conduite de ses leçons, mais c'était bien ses poèmes qui me motivaient le plus.

– Ton apprentissage est extrêmement rapide ! s'était-il exclamé l'autre jour. Je n'en reviens pas.

– Il suffit d'en avoir envie, avais-je répondu en lui faisant un clin d'œil.

Il m'avait regardé d'un air perplexe avant de changer de sujet. Message reçu : monsieur le poète ne voulait pas récolter de lauriers. Je n'avais pas insisté.

Je me rendais quotidiennement à la petite bibliothèque, mais ne trouvais de nouveau poème que tous les trois ou quatre matins. Parfois, Rahim y était et je rebroussais chemin l'air de rien pendant qu'il se jetait sur ses feuilles pour me cacher ses recherches. Au fil des jours, ses écrits devenaient de plus en plus audacieux. J'aurais même pu dire qu'il commençait ouvertement à tenter de me séduire. Le dernier en date était assez équivoque.

N'y a-t-il de plus grand bonheur

Que de pouvoir vivre au grand jour

Ce que nous dicte notre cœur

Mais en possédais-je seulement un

qui ne soit pas réduit en cendre ?

Je pensais connaître la réponse

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant