Chapitre 37

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La douleur était insupportable. J'avais un besoin irrépressible de bouger, de m'étirer, mais chaque mouvement était un supplice. Impossible également d'ouvrir mes paupières qui semblaient peser dix fois plus qu'à l'ordinaire. Je geignis de mécontentement.

– Cesse donc de gigoter ainsi, Armila. Tu es loin d'être remise. Il s'en est fallu de peu pour que nous ne nous rencontrions jamais. Oh, permets-moi de te tutoyer.

La voix féminine qui s'adressait à moi m'était totalement inconnue. Plutôt grave et bienveillante, elle n'était pas celle d'un ennemi. Étais-je à Fytalie ? Qui était le Sylphe qui avait bravé le chef des Démons pour me porter secours ? Azrel avait évoqué le seigneur Alan, mon grand-père, mais le Faé qui m'avait emportée avait davantage un physique d'un grand frère que d'un aïeul. Azrel... moi qui oubliais tout, je me remémorai parfaitement ces dernières paroles.

Je ne veux plus jamais te voir, Armila. Plus jamais !

Un trou béant se creusa dans ma poitrine, surplombant toutes mes autres blessures. Il m'avait dénoncée à Flora, il était responsable de la mort de mon père, et, malgré la suppression du sort d'inhibition, il se considérait toujours comme mon ennemi. Un traître, un fichu traître que même le Romyx n'avait pas détourné de ses viles intentions. Et j'eus l'envie folle de ne plus jamais me réveiller.

Je repris conscience, complètement groggy. Déboussolée, je peinais à rassembler mes souvenirs. Il flottait dans l'air une odeur qui m'était totalement inconnue. Je me redressai, paniquée, et regardai autour de moi avec frénésie. J'étais dans la chambre la plus luxueuse que j'avais jamais vue. De forme circulaire, elle était parée de colonnes en pierre blanche finement gravées et d'un sol en marbre gris. Des plantes décoraient abondamment l'espace et de magnifiques meubles assortis aux murs venaient agrémenter le tout. Une douce lumière entrait par un toit en verrière par lequel j'apercevais des oiseaux. Ma rencontre désastreuse avec le seigneur Démon me revint en mémoire, tout comme la vérité au sujet d'Azrel et son violent rejet. Des larmes dévalèrent sur mes joues, silencieuses mais chargées de tristesse.

Si mon cœur était totalement brisé, au moins mon corps semblait partiellement réparé. Bien que courbaturée, je pouvais me mouvoir sans avoir l'impression d'être au bord de l'évanouissement. Et pourtant, toute curiosité m'avait quittée. Je restai immobile, assise sur ce lit bien trop grand pour moi. Je voulais juste être seule. Azrel m'avait rejetée malgré le Romyx. Je n'avais pas vu venir ce revirement de situation et j'avais le sentiment que je passais à côté d'informations capitales. M'avait-il vraiment menti depuis le début ? Je ne pouvais pas le croire. J'avais senti sa peau frémir contre la mienne, j'avais lu ses « je t'aime » dans ses regards brûlants et ses poèmes. Cet homme ne pouvait pas être responsable de tous mes malheurs, et du meurtre de mon père en premier lieu.

Pourtant, je devais me rendre à l'évidence : il n'avait pas nié les accusations de son père, et il m'avait rejetée. Bon sang... il m'avait rejetée ! Même un lien magique connu pour être plus fort que la raison n'avait pas suffi à me faire aimer d'un homme. Pas assez en tout cas. Trop de violence et de mensonges, mais j'aurais pu faire mieux que cela. Si notre liaison était vouée à l'échec depuis son commencement, j'aurais pu réussir à détourner Azrel de la folie dont il se disait atteint. J'aurais pu lui donner envie d'une autre vie, le faire douter. Mais j'avais échoué. J'étais irrécupérable, une bonne à rien, une gamine ingérable, colérique et stupide. Jeny et Fredrik avaient vu juste depuis le début. Il n'y avait bien que Guillem pour ne pas comprendre qui j'étais vraiment, trop aveuglé par le besoin d'honorer la mémoire de son frère jumeau. Par le Grand Tout... je méritais la médaille de la pintade du siècle. Je méditais un long moment sur cette conclusion.

Quand enfin je repris mes esprits, je m'aperçus qu'une magnifique brioche et de la confiture étaient posées sur une table, ainsi qu'une carafe remplie à ras bord. Je me mis maladroitement en mouvement. Mes pieds ne me faisaient plus mal, mais mes jambes étaient tremblantes. Je m'écroulai sur le fauteuil qui faisait face à mon déjeuner. Mon estomac criait famine, mais ma gorge était bien trop nouée pour laisser passer autre chose que de l'eau. Alors je ne me forçai pas. Je tenais à peine debout, mais je m'en fichais. À quoi bon. Un bruit de porte me sortit de mon état statique. Je me tournai et découvris une très belle femme dont la chevelure châtain coiffée en tresses offrait une vue immanquable sur ses deux longues oreilles taillées en pointe. Elle portait une magnifique robe grise ornée de pierres étincelantes mettant en valeur ses courbes féminines et sa peau rosée. Et ses yeux brillaient d'un éclat violet surprenant. Elle n'était pas seule. À peine avait-elle fait quelques pas dans ma direction qu'un gros chien blanc la doubla pour se précipiter vers moi. L'animal posa ses pattes avant sur l'accoudoir et m'offrit un généreux coup de langue qu'il entreprit de renouveler. Mais je le repoussais en grognant. J'aimais les bêtes, mais je trouvais celle-ci bien trop audacieuse. Méfie-toi du chien. D'où me venait cet avertissement ? Confuse, je me reculai davantage.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant