Chapitre 21

39 5 21
                                    

Je ne sus si ce fut grâce à la tisane de mon Démon ou autre chose, mais mes saignements retrouvèrent un semblant de normalité en fin de matinée. Azrel était passé en coup de vent pour m'apporter de quoi me restaurer. Il m'avait embrassé avec la même ferveur que plus tôt avant de retourner à ses affaires. Le ventre plein, je me sentis la force de tenter une échappée. C'était de toute façon vital. Tout mon corps me réclamait de me mettre en mouvement et je commençai à ressentir une certaine nervosité dans cet immobilisme forcé.

Je me retrouvai donc à déambuler dans le couloir, et si mon objectif initial était de rendre une petite visite à Azrel, je ne résistai pas à l'appel de la bibliothèque. Comme je le pensais, Rahim m'avait laissé son dernier poème. Ma lecture, bien que pas encore tout à fait fluide, était bien moins laborieuse.

Quand je ferme les yeux, je te vois

Quand je marche, je te vois

Quand je respire, je te vois

À chaque instant, à chaque seconde

Tu es là

Bon sang, Rahim voulait-il passer à la vitesse supérieure ? Je ne savais pas quoi répondre à cela. Après réflexion, je décidai d'être honnête. Je repartis chercher une plume qui, mauvais hasard, n'était plus à sa place, et inscrivis le message suivant :

Si mon keur n'appartené pa a un otre, tu l'oré conki

Je sentais bien qu'il y avait beaucoup de fautes. J'étais certaine que cœur s'écrivait autrement, et je regardai les accords des verbes avec honte. Mais je ne pouvais pas laisser mon ami se complaire dans ce petit jeu de séduction, amusant tant qu'il ne devenait pas sérieux. Je remis la feuille à sa place avec appréhension et repartis en fermant soigneusement la porte.

Je tournai dans tout le manoir, découvrant même des pièces inexplorées, mais aucune trace d'Azrel. Je m'apprêtai à tenter la lisière de la forêt, limite de la protection, quand une idée me traversa l'esprit. En petite forme, mais toujours aussi têtue, j'escaladai le treillis pour rejoindre les toits. Une odeur de feu commença à me chatouiller les narines. Mais qu'est-ce qu'il fichait là-haut ? J'accélérai autant que mon corps groggy me le permit et lorsque ma tête passa la hauteur du mur, je crus lâcher mon échelle de fortune tant le spectacle me sidéra.

Azrel était bien là, mais si je le reconnus, ce fut uniquement par élimination : il n'y avait que lui et moi dans cette fichue propriété. Car devant moi se tenait une torche humaine. Une silhouette noire se détachait des immenses flammes orangées, bras écartés. Une épaisse fumée s'élevait dans le ciel à la luminosité déclinante.

– Azrel ! appelai-je, inquiète.

Le Démon baissa les bras et le feu diminua progressivement jusqu'à ce que son corps cuivré entièrement nu m'apparaisse. Il tomba à genoux et je me précipitai vers lui (enfin, c'était tout relatif au vu de mon état). Je saisis avec précaution son menton et ses joues : ils étaient fiévreux. Ses yeux avaient perdu de leur éclat doré et d'immenses cernes noirs creusaient son beau visage.

– Qu'as-tu fait ? murmurai-je.

– J'ai appelé à l'aide.

– Quoi ? Oh, la fumée... tu essaies de marquer ta position.

Il acquiesça. Une soudaine angoisse me tordit l'estomac.

– Depuis combien de temps est-ce que tu... brûles ?

– J'ai fait ça toute la journée.

– Bon sang, Azrel. Tu n'aurais pas dû ! Déjà parce que tu réussis l'exploit de paraître encore plus lamentable que moi, mais aussi parce qu'il est hors de question de quitter cet endroit sans l'avis de Guillem.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant