Chapitre 32

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Je m'éveillai avec une sensation de perte d'équilibre et de mouvement de tangage. J'ouvris les yeux, affolée, et mis un bon moment à me rappeler où j'étais et pourquoi. Je me trouvais allongée dans un couchage assez sommaire, dans une chambre tout en bois et à la décoration assez épurée puisque seul un gouvernail était accroché sur un des pans du mur. Tout ce qui m'entourait était fixé au sol : le lit, la table, la bassine, le petit meuble... et je compris que le vertige qui me contractait le ventre était dû à un réel balancier de l'habitacle. J'étais sur un bateau. Azrel me faisait traverser la fosse, la faille de la colère. Il m'emmenait auprès de son père, au Sud de Vourl, dans la chaîne des Vourlines où se terrait ce qu'il restait du peuple Démon.

Ma vieille compagne la colère se réveilla. Je la sentais gronder en moi, annihilant mes capacités à me contrôler. Je bondis sur mes pieds, m'étalai à cause du mouvement de tangage, me relevai d'une humeur pire encore que la seconde précédente, et enfonçai la porte, prête à en découdre avec celui qui pensait pouvoir décider à ma place.

– Azrel ! hurlai-je en m'avançant sur le pont.

Je fus surprise de me retrouver face à deux hommes et une femme, chacun assigné à une tâche sur l'immense voilier où j'avais été emmenée. Ils se tournèrent tous les trois vers moi, apeurés, avant de reprendre leurs activités. Je regardai nerveusement autour de moi. Le jour était levé depuis peu, et sur ma droite, comme sur ma gauche, je ne voyais qu'une étendue d'eau.

– Azrel ! réitérai-je. Viens me parler, fils de rien ! Sauvage ! Abruti de Démon de mes deux ! Je t'attends, enfoiré !

Je n'étais pas du genre à proférer des injures, mais je bouillais intérieurement. Les trois matelots ne faisaient plus attention à moi ni à mes cris perçants. Je montai l'escalier situé derrière moi pour prendre un peu de hauteur et repérer ma cible. Je réalisai alors que nous venions tout juste d'embarquer. La falaise côté Maleda/Fytalie et les montagnes du Spectre étaient encore visible en arrière, et pas si éloignées que cela. Je les observai rapetisser tout doucement pendant plusieurs secondes, incrédule. À l'opposé, droit devant nous, la rive de Vourl n'était qu'un minuscule point. L'idée de me retrouver coincée dans les Vourlines me fit grogner. Je repris donc ma recherche en continuant de m'époumoner. Finalement, le type qui s'occupait des cordages me désigna la porte de ma « chambre » d'un geste du menton. S'il pensait que j'irais m'enfermer de mon plein gré, il se mettait le doigt dans l'œil. Toutefois, son insistance attisa ma curiosité, et je retournai d'où je venais avec une fureur non feinte.

– Azrel !

– Là, Romiya, fit une voix en provenance du fond de la pièce.

Je courus jusqu'à une autre porte que je n'avais pas vue à mon réveil et je l'ouvris si brutalement que je faillis la dégonder. Je trouvai Azrel assis sur une sorte de fauteuil fixé au sol, la tête dans les bras. Je m'empressai de lui faire découvrir le panel d'insulte de mon vocabulaire en hurlant comme une hystérique. Tout était accroché, si bien que je ne pus passer mes nerfs en balançant quelques objets à la figure de ce malotru, et ma frustration redoubla.

– Armila, marmonna-t-il d'une voix faible. Petit chat sauvage, je ne suis pas au mieux de ma forme.

– Ne me fais pas croire que tu es malade, je m'en contrefiche ! Je vais te balancer par-dessus bord, sale menteur !

– Je ne t'ai pas menti, affirma-t-il en relevant son visage anormalement livide. Nous allons à Vourl auprès de mon père.

Malgré son état assez préoccupant, il esquissa son sourire supérieur bien à lui. Je grognai de plus belle, comme un animal sauvage. Toutefois, une petite pointe d'inquiétude vient me piquer le cœur.

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant