Épilogue

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Tout allait bien pour moi. Dans deux jours, je serai officiellement membre de la famille Paskey. Armila Paskey, princesse de Fytalie. Le seigneur Alan faisait le nécessaire pour transformer l'ignorante que j'étais en parfaite héritière Faée, cultivée et distinguée. Lucina m'apprenait énormément de choses sur ma nature Sylphe. Même si elle peinait à cacher son agacement face à mon incompétence, elle m'accordait régulièrement du temps libre pour m'initier à ses loisirs. Son absence ces trois dernières semaines pour voyage d'affaire me pesait légèrement. Ma grand-mère, Coralina n'était que peu présente. Toujours un peu déphasée, elle me confondait une fois sur deux avec ma défunte mère. Mais je ne lui en tenais pas rigueur. Lucina m'avait expliqué que la disparition de Delila avait été un cataclysme dans sa vie, et que la folie s'était emparée d'elle à ce moment-là.

Tout allait bien pour moi. Guillem était mon principal pilier, mais il repartirait après la cérémonie. Tout comme Vaëlle et Monessa. Il me répétait que j'étais bien entourée, qu'il reviendrait vite et que bientôt, je pourrais sortir du royaume pour rendre visite à mes amis. J'avais émis le souhait de faire de Rahim mon premier sorcier, c'est-à-dire mon assistant personnel. Après quelques jours de réflexion, il avait finalement accepté. Au fond de moi, je savais que ce n'était pas le poste qu'il convoitait, mais qu'il avait été convaincu par sa mère et mon oncle afin de garder un œil sur moi.

Pourtant, tout allait bien pour moi. J'avais dû consoler Monessa quand Alan avait refusé de libérer Sidurg de ses obligations auprès des Sylphes. Ce fut un moment éprouvant pour la petite blonde. Même Vaëlle s'était indignée, preuve qu'elle avait fini par accepter les sentiments de sa fille pour l'espion aux cicatrices. Au final, mon grand-père promit d'accorder des permissions de sorties sur Maleda à Sidurg. Le soir, les tourtereaux avaient franchi l'ultime étape pour fêter cette ébauche de victoire. Monessa m'avait relaté leur nuit avec bien trop de détails pour ma pudeur. Tout allait bien pour eux.

J'avais rencontré de nombreux Sylphes qui gravitaient autour de la famille du seigneur. Peu bavards et non intrusifs, ils n'étaient pas désagréables de les côtoyer. J'avais même eu plusieurs interactions avec une Faée qui, comme moi, avait eu beaucoup de mal à se mettre à la musique. Nous avions sympathisé. Guillem était heureux que je me fasse des amis. C'était en tout cas son discours. Une famille, un foyer, de nouvelles rencontres, une éducation, alors tout allait bien pour moi.

Après la réception du courrier d'Azrel, je m'étais enfermée dans un silence absolu pendant presque deux semaines. Rien ni personne n'avait pu me décrocher un mot, ou même un regard. J'avais cru mourir de l'intérieur. Ma cérémonie d'introduction avait été décalée d'un mois supplémentaire et le seigneur Alan avait considérablement revu à la baisse ses exigences. Ses reproches intarissables s'étaient mus en soutien discret. Il avait de la peine pour moi, mais ne savait pas comment s'y prendre pour m'alléger de ce poids, c'en était presque amusant. Guillem avait obtenu que je sois en permanence en compagnie de quelqu'un de confiance : lui, bien sûr, mais aussi Lucina, Nalbine, Monessa, Rahim, Vaëlle, et même Sidurg, que je ne connaissais pourtant que très peu. En m'assurant du soutien des personnes qui comptaient pour moi, il faisait en sorte que je ne me laisse pas abattre.

Il avait réussi, puisque tout allait bien pour moi... en apparence. En réalité, la trahison d'Azrel était une plaie toujours à vif, mais j'apprenais jour après jour à donner le change. Seul Faucon, mon désormais fidèle compagnon, connaissait les sombres secrets de mon cœur. Il m'écoutait avec une telle attention que j'aurais pu jurer qu'il me comprenait. Il réagissait systématiquement à l'évocation d'Azrel, ou bien je me l'imaginais, tout était si confus dans mon esprit. Je ressassais inlassablement tous les moments passés en sa compagnie, me raccrochant parfois à certains de ses mots, de ses actes, avant de me rappeler que tout ceci était faux et que son unique objectif avait été de me ramener à son père. J'avais été stupide, pourquoi m'entêter à remuer ces souvenirs ?

Je savais avec certitude qu'Alan se trompait : ma place n'était pas à Fytalie. Je me donnais jusqu'au pèlerinage, prévu dans cinq semaines, pour voir si le temps apaisait ma peine. Après cela, je renoncerai à tout : l'héritage sylphe, mes amis, l'amour... la vie. Il me restait une épreuve de taille : mon introduction dans moins de quarante-huit heures et la pompeuse cérémonie qui allait avec. Ce qui incluait ma rencontre avec Flora Wam, Dame d'Ewaden et veuve de mon père. La femme qui voulait ma mort. Les rumeurs la disaient enceinte. Elle avait donc rapidement fait le deuil de son époux (preuve supplémentaire qu'elle n'était pas étrangère à son assassinat) et tout aussi vite oublié son amant : Azrel. Il me faudrait renforcer mon armure déjà bien épaisse pour affronter cette dernière étape. Mais j'y parviendrais. Pour Guillem, pour Monessa et tous ceux qui croyaient à ma résilience. Dissimuler ses émotions. Cacher ses forces et ses faiblesses. Faire profil bas. Tenir le coup. Au moins jusqu'au pèlerinage. Après...

Je me retournai encore et toujours dans mon lit, témoin principal de mes nombreuses insomnies, quand la fenêtre de ma chambre s'ouvrit doucement. Je me redressai, intriguée. Les efforts de Lucina finissaient par payer, je compris immédiatement qu'une forme de magie était à l'œuvre. Je me levai avec méfiance, lorsque tout à coup, une brise tiède entra dans la pièce pour s'enrouler autour de mon corps amaigri. Faucon se mit à sautiller en secouant joyeusement la queue. J'eus à peine le temps de me demander ce qu'il se passait que les spectres me délivrèrent leur message :

Au bord du vide d'où je me tiens, j'attendrai sans souffle que tu me tendes la main. Le cœur rempli de ton violent poison, celui qui prend tout et jamais ne redonne, sans lutter, je perds la raison, je ne pus rêver d'une mort si bonne. Jamais tu ne viendras jusqu'à moi, mais je n'ai aucun regret ici-bas. Car j'aurai connu ce que connaîtront peu de gens, ce mal délicieux, insidieux et dément.

Et mon cœur se remit à battre.

À suivre...

Elementals - la saga d'Armila (livres 1 et 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant