Tommaso

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J'écrase ma cigarette sous la semelle de ma chaussure. Je regarde une dernière fois l'immeuble avant de monter dans ma voiture de location. Dix ans que je n'ai plus remis les pieds dans le Queens, dix ans que je n'ai plus revu la maison où j'ai grandi, pourtant rien n'a changé. Enfin, c'est l'impression que j'ai.
Une autre famille sûrement aussi tarée que la mienne doit habiter l'appartement au cinquième étage sans ascenseur où j'ai grandi. Cet endroit n'a pas changé, c'est toujours un repère pour la racaille de la société : les pauvres, les oubliés, les malheureux. Ceux qui vivent au jour le jour sans but, ceux qui se privent de manger pour acheter un pack de bière ou de la poudre blanche.

J'ai quitté cet endroit, mais il ne m'a jamais quitté. Il fait partie de moi, c'est ma maison. Souvent, mes cauchemars se déroulent en ces lieux ; je revis constamment mon enfance, même dans mon sommeil.

Je démarre. La première chose que j'ai faite en arrivant à New York, c'est d'aller voir maman au cimetière. Sa tombe est méconnaissable, recouverte de mauvaises herbes. Elle s'est suicidée quand elle a appris la mort d'Éloïse. Savait-elle que c'était moi ? Sans aucun doute, ma mère a toujours su ce dont j'étais capable.  
Je pense même qu'elle s'est suicidée parce que son fils a tué sa fille. Si je ne m'étais pas enfui, j'aurais pu lui expliquer mes motivations. Éloïse avait commis un péché grave. Elle méritait de mourir. Mais j'ai promis à maman, en déposant une fleur sur sa tombe, qu'elle n'avait pas à s'inquiéter. Bientôt, l'acte final, grâce à moi, Éloïse sera délivrée des flammes de l'enfer.

La nuit est tombée sur New York. Au volant de ma bagnole, je regarde la foule qui pullule comme des mauvaises herbes. Je hais cette ville. New York a été le berceau de tous mes malheurs. Témoins bruyants mais inactifs. New York est une ville dont le cœur bat constamment. Les cris des vendeurs ambulants se mêlent à la musique des chanteurs de rue. Les odeurs de nourriture provenant des différents stands et restaurants se battent avec celles, beaucoup plus nocives, des gaz d'échappement.
Des taxis à tous les coins de rue, des ambulances roulant toutes sirènes hurlantes, des camions de pompiers sollicités pour éteindre l'horreur.
Des voitures de patrouille parce que dans cette ville, à toute heure, du jour comme de la nuit, il y a sûrement un taré occupé à faire du mal.
Des immeubles supportant le poids des panneaux d'affichage.
Les New-Yorkais traversent cet enfer tumultueux, des gens de toutes les cultures, de toutes les origines qui se mélangent, marchent d'un pas déterminé comme des robots.
Ma voiture vibre quand le métro souterrain passe à toute vitesse.
Oui, je hais cette ville. Je n'ai qu'une hâte : terminer ce que j'ai à faire et rentrer en Italie.

Je conduis pendant plus de trois heures. Ne m'arrêtant que pour prendre à manger ou pour faire des besoins naturels.

Il est 23 heures quand je gare ma voiture dans le quartier résidentiel où mon père réside avec sa nouvelle famille. J'ai une montée de rage quand mes yeux se posent sur sa nouvelle maison.
Dans ce côté-ci de la ville, on est loin du bourdonnement permanent du Queens.
Des maisons de style victorien parfaitement alignées des deux côtés, séparées par une route, le gazon est vert et tendu.

Il n'y a aucune clôture, aucun grillage pour protéger les maisons. C'est normal, l'insécurité est quasi inexistante dans ce côté de la ville, tout le monde respecte la vie privée des autres.
Un cadre idyllique, un petit coin tranquille où élever ses enfants en toute sécurité, loin de la misère du monde.
Il ne mérite pas de vivre dans un quartier comme celui-ci.

Je gare ma voiture avant de descendre. Je vérifie qu'il y a assez de munitions dans mon Magnum 44,  puis je remonte l'allée jusqu'à la maison. Je monte quelques marches, puis j'appuie sur la sonnette.
Dans la maison d'à côté, un homme bataille avec la laisse de son chien qui refuse de rentrer. Ses aboiements pourraient réveiller un mort. Ces animaux sont insupportables.

L'ombre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant