L'ombre 2

Gayle

Qui me protégera du loup ?

Excellente question. J’ai envie de me montrer naive. De me dire qu’il ne me fera jamais de mal. Mais, mes yeux sont orientés vers mes paumes, là où réside encore les souvenirs de la mutilation de Marzamemi. Ses cicatrices qui chaque jour me rappellent que mon histoire est special certes mais que ce n’est pas un compte de fée.

Je n’ai pas de réponse et j’ai bien peur de ne jamais en avoir. Le loup me protège jalousement, comme si j’étais pour lui le bien le plus précieux. Mais arrive la nuit, quand il dort. L’adulte qui contrôle chaque aspect de sa vie disparaît, remplacé par un enfant. Ses cauchemars sont de plus en plus fréquents, de plus en plus violents. Au réveil, j’ai l’impression qu’il ne s’en souvient pas, sinon, il est un excellent acteur. C’est surtout la deuxième option qui semble la plus probable. Il ne veut jamais parler de ses traumatismes qu’il considère comme un signe de faiblesse. Comment lui faire comprendre qu’au contraire, il faut une très grande force d’esprit pour s’ouvrir à quelqu’un sur des sujets aussi intimes ?

Je tourne la page du thriller que j’ai acheté quand nous étions allés faire les courses une semaine plus tôt. 
Après le cadavre abandonné dans ma chambre, nous avons compris qu’il est grand temps de retrousser nos manches pour nous mettre à la tâche. Contrairement à ce que j’avais cru, des chirurgiens sur cette île, il y en a un paquet. Premièrement, nous avons fait une liste pour éliminer certains que nous avons jugés trop éloignés pour juste couvrir un périmètre autour du QG des Gaviera. Tommaso est tellement obsédé par cette famille que ça ne m’étonnerait pas qu’il ait un appartement juste en face du club.

Je m’adosse plus confortablement contre la portière, les pieds posés sur ses jambes. Dominguez est certes un problème, mais il n’est pas mon plus grand combat. Comparé à la guerre qu’est Riccardo Gaviera, il n’est qu’une bataille insignifiante. Comment aider quelqu’un qui n’a même pas conscience qu’il a besoin d’aide ?

– Bordel, bouge ta vieille bécane de mon champ de vision ! Riccardo râle avant de klaxonner. Sur l’autoroute, ce mec est une catastrophe ambulante.

– Tu sais que là c'est toi qui as tort, ce motard conduit de manière très raisonnable.

– Dis-moi, toi, tu es de quel côté ?

– Pas du tien, ça c’est certain, je réplique en lui dédiant une grimace qui le fait rire. Moi, je n’y arrive pas, j’ai l’impression d’avoir un poids dans la poitrine. C’est horrible.

Ma conversation avec Maya m’a bouleversée dans tous les sens du terme. Savoir que Cora, la génitrice de Riccardo, n’a jamais voulu de lui est une chose, mais apprendre qu’elle le maltraitait en le battant et en le privant de nourriture en est une autre. S’en souvient-il ? Il ne l’a jamais évoqué, il essaye du mieux qu’il peut de ne jamais parler de sa génitrice. Mais une fois endormi, les vannes s’ouvrent, libérant ses souvenirs en forme de cauchemars.

J’ai peur de ne pas être capable de le sauver de ses propres démons malgré le lien qui nous unit. Son passé est comme un point gravitationnel qui influence sa personnalité actuelle et la dynamique de notre relation.

Et la photo est comme le symbole de cette dualité, un souvenir à la fois attendrissant et triste, représentant de l’innocence volée et la résilience d’un homme qui a survécu malgré tout. J’aimerais l’aider, mais j’ai mes propres limites. C’est là que je me rends compte à quel point Maya a raison : je ne peux pas être en couple et me comporter comme si j’étais seule.

J’essaie de lire, mais mes pensées reviennent sans cesse sur les révélations de Maya Gaviera.

– J’aime beaucoup ta tante.