Avez-vous déjà eu l’impression d’être déconnecté de votre corps ? Comme si tout ce qui se déroulait autour de vous ne vous concernait pas ? Comme si, le temps d’un battement de cils, vous étiez devenu moins que la spectatrice de votre propre existence ?C’est exactement comme ça que je me sens. J’ai l’impression de subir une dépersonnalisation, je suis détachée de moi-même, de mon environnement. Je vois, j’entends. Mais ma langue pèse une tonne, rendant toute capacité de m'exprimer impossible. J’ai du mal à penser à ce qui vient de se passer, et à la place, mon cerveau n’a de cesse de ramener sur le tapis des événements et des images que j’ai fait de mon mieux pour oublier.
Après avoir roulé comme si sa vie en dépendait, Riccardo s’est arrêté devant le portail en fer forgé d’une propriété perdue au milieu d’une forêt. Plusieurs gardes sont venus à notre rencontre pour vérifier qui se trouvait dans la voiture avant de nous laisser entrer.
Il est ensuite descendu et a ouvert la portière côté passager pour prendre papa dans ses bras avant de disparaître dans la maison. Ce n’est pas un hôpital. C’est la seule pensée rationnelle qui m’a traversé l’esprit alors que je restais seule dans la voiture, serrant contre moi mon tee-shirt humide du sang de mon père.
Je suis sortie de la voiture comme une automate, l’air hivernal fouettant mon corps, créant la chair de poule sur ma peau et dressant les cheveux à l’arrière de ma nuque. J’ai remonté l’allée qui mène à la maison, le regard vide. J’ai du mal à soulever mes pieds, comme s’ils étaient remplis de plomb. Non, c’est tout mon corps qui est rempli de plomb. Je transpire à grosses gouttes alors même que le froid de cette nuit inquiétante est glacial.
À l’intérieur, il fait extrêmement chaud. Mais ça ne change rien pour moi, c’est comme si cette sensation de froid s’était incrustée en lettres d’or à l’intérieur de chaque atome qui parcourt mon corps.
– Dis donc, à chaque fois que je te vois, tu es vêtue comme une pute. Je comprends pourquoi Ricky s’est laissé aveugler.
Je lève lentement les yeux pour me rendre compte que Rebecca me fait face. Pourquoi est-elle là, où sommes-nous ? Où est-ce que Riccardo a disparu avec le corps de mon père ?
Le corps ? Dans quel état était le cadavre de ma mère quand Riccardo l’a trouvé ? Dans un profond état de décomposition, rongé par des vers, des asticots et Dieu sait quels autres insectes, démembrés, mutilés. Où l’a-t-il trouvé ? Je ne me suis jamais posé la question, sur le coup j’étais juste soulagée de lui donner une sépulture décente...
Tout est de ma faute. Si je n’avais pas quitté Paris pour aller me terrer à Nîmes, rien de tout ça ne se serait produit, elle serait toujours vivante, et papa aussi.
Rebecca claque des doigts devant mon visage. Mais je ne réagis toujours pas. Je continue d’avancer, je ne sais pas où aller mais je veux juste avancer. J’ai eu tellement de mal à me lever pour quitter la voiture, donc, il faut que je continue.
– Hé, je te parle. Je tourne lentement la tête vers elle. Rebecca trottine pour me faire face.
– C’est ton père que Riccardo porte ? Elle me retient par le bras. Je serre plus fort le tee-shirt contre mon ventre. Je ne suis plus vêtue que de mon soutien-gorge et de mon jean, mais je m’en moque, je veux juste avancer.
– Ta mère, puis ton père. Dis-moi, il te faudra perdre combien de personnes pour te décider à laisser Riccardo ? Il n’est pas pour toi, ce monde n’est pas pour toi. Nous ne nous marions qu’entre nous parce que nous savons à quoi nous attendre. Tu es un poids pour lui, toi et ta famille. Plutôt que de s’occuper de ses affaires, il porte un vieillard défaillant.
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L'ombre 2
RomanceRiccardo Gaviera est venu au monde pour être le bras armé de son frère. Il n'a jamais eu à faire de choix puisque toute sa vie a déjà été décidée pour lui. Mais de nature indomptable et irréfléchie, celui qu'on surnomme la pieuvre de l'ombre est le...