Quand il me voit arriver, James, qui était en grande conversation avec une rousse pulpeuse, s’écarte de la voiture et m’ouvre la portière. Je le remercie d’un sourire alors que la fille me regarde comme si j’étais une menace. J’indique à mon garde du corps l’adresse du restaurant où se trouve Camille. Je ne suis toujours pas ravie d’avoir James sur les pattes, je pense que je ne le serais jamais, mais sa présence me rassure. J’ai l’impression d’avoir une ombre qui me suit en permanence. Une ombre maléfique, celle de Tommaso mais soyons honnêtes, rien de nouveau à l’horizon.
Je regarde défiler les rues étroites de l’île. Malgré la peur grandissante en moi, je souris. J’ai toujours beaucoup de mal à croire que c’est Riccardo, le voisin taré avec qui j’avais échangé quelques mots. Je ne crois pas au destin, mais je dois avouer que la suite d’événements qui m’a conduit jusqu’à lui dépasse l’entendement. Je ne me suis jamais rendu compte de rien ; je vivais ma vie monotone tranquillement et pendant ce temps, j’avais attiré l’attention du démon.
Dans la voiture qui me conduit au restaurant où m’attend Camille, je me mis à penser à Manon. C’est étrange, mais savoir que j’ai désormais des amis qui m’appellent en cas d’urgence me fait penser à la fille qui, quelques années plus tôt, m’a poussé à ne plus croire en ce lien qui peut être considéré comme sacré.
Manon et moi étions voisines. Son père était alcoolique et sa mère travaillait dans un hôtel dans le 93 comme femme de chambre. La vie dans la capitale étant coûteuse, ajoutée au fait que sa mère était la seule personne qui s’occupait des frais, leur vie n’était pas facile et il leur arrivait même de sauter des repas.
Maman, ayant appris leur situation, est venue me voir un jour. Je me rappelle que j’étais installée sur le bord de la fenêtre et je lisais "Alice et la malle mystérieuse" de Caroline Quine. Elle m’a demandé si j’étais dans la même classe que Manon. J’ai répondu vaguement, sans détourner mes yeux de ma lecture. Maman m’a alors parlé de sa situation.
– C’est une gentille fille, vous pourriez devenir amies.
Ce que maman voulait en réalité, c’était que je ramène Manon à la maison pour qu’elle puisse la nourrir sans que ça passe pour de la charité. J’ai refusé, pas parce que je n’avais pas de la peine pour elle, mais à l’époque j’étais d’une timidité maladive. Je me répétais que je n’aimais pas les gens, que je préférais le monde fictif, mais en réalité, l’adulte en moi sait désormais que cette adolescente n’avait aucune haine contre les autres. Elle avait peur.
J’avais peur de parler, de dire quelque chose de pas bien, de faire quelque chose de travers. Dans ma chambre avec mes livres, je ne risquais pas de faire quoi que ce soit de mal à qui que ce soit. J’étais tellement dans cet état d’esprit que, sans même m’en rendre compte, cet état d’esprit a pris racine en moi.
Je me rappelle que maman avait soupiré et, comme à chaque fois qu’elle voulait obtenir quelque chose de moi et que je me montrais récalcitrante, elle a sorti la formule magique :
– Je me disais qu’on pourrait faire un tour à la librairie…
Je suis allée frapper à la porte de la maison de Manon qui était juste en face de la nôtre. Elle a écarquillé des yeux en me reconnaissant, elle devait sûrement se demander ce que la tarée de la classe faisait devant chez elle. Je lui ai proposé de venir réviser chez moi et après une certaine hésitation, elle a demandé à son père qui, pour toute réponse, lui a hurlé dessus. Manon, qui était habituée, a juste récupéré sa veste et ses livres et elle m’a suivie.
Au début, c’était vraiment gênant. On était dans la même classe, mais on n’avait jamais échangé un mot. D’ailleurs, je ne parlais à personne au collège. Mais au fil des jours, nous sommes devenues inséparables. Manon passait le plus clair de son temps chez moi, il lui arrivait même d’y passer la nuit.
C’était d’autant plus possible que sa mère travaillait beaucoup et son père, l’esprit gouverné par la boisson, oubliait tout jusqu’à l’existence de sa fille. Tout se passait bien, j’avais enfin une amie. Manon et moi n’avions pas beaucoup de centres d’intérêt en commun, elle détestait lire et les documentaires sur les tueurs en série lui faisaient peur, contrairement à moi qui avais une fascination presque morbide pour Ted Bundy ou Albert Fish. Mais on avait un truc en commun : les mangas et les animés. On ne ratait jamais les épisodes de Naruto sur Game One.
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L'ombre 2
RomanceRiccardo Gaviera est venu au monde pour être le bras armé de son frère. Il n'a jamais eu à faire de choix puisque toute sa vie a déjà été décidée pour lui. Mais de nature indomptable et irréfléchie, celui qu'on surnomme la pieuvre de l'ombre est le...