Une bouteille de bière à la main, je suis debout près de la fenêtre. L’immeuble dans lequel je loue un appartement fait face au sien. Je peux l’observer à loisir quand elle déambule dans sa cuisine en petite tenue, comme en cet instant.J’ai toujours été d’une curiosité maladive. Quand j’ai été assez grand pour comprendre qu’on me destinait à une vie dans l’ombre faite de sang, j’ai décidé de prendre en charge ma scolarité. Père ne voyait pas d’importance que j’aille à l’école, ça ne me servirait à rien disait-il. Je suis le bras armé de la future pieuvre, rien de plus. Je suis celui qui se tapis dans l’ombre, celui qui élimine les ennemis. Mais je n’étais pas d’accord, même un bras armé a besoin d’aiguiser son esprit.
Mon désir de prouver à mon paternel que j’étais capable d’être autre chose qu’un tueur m’a permis de m’intéresser à un nombre incalculable de choses : j’ai appris à lire tout seul, avant de m’intéresser aux mathématiques, à la physique, puis à la chimie. J’ai d’ailleurs brûlé une grange lors d’une expérience vue dans un livre. Après cet accident, je me suis désintéressé de la chimie pour m’intéresser à la philosophie puis à la psychologie.
Pendant que je satisfaisais ma curiosité, père avait engagé un psy pour m’étudier moi, comme un vulgaire rat de laboratoire.
Aussi loin que mes souvenirs remontent, ces moments dans ma chambre à étudier étaient les meilleurs de mon adolescence, puis elle gâchait tout en ouvrant la bouche, constamment saoule, constamment de mauvaise humeur. Mais quand je débarquais dans son champ de vision, c’était pire. Elle disait que j’avais le sourire du diable, le sourire de mon monstre de père. Quand elle ne m’ignorait pas, elle m’enfermait dans le sous-sol pour ne plus me voir. Et quand je me mettais à pleurer parce que j’étais le seul à être traité ainsi pendant que Gia était traité comme un roi, sa colère redoublait et elle sortait la ceinture en cuir. Elle détestait que je me compare à Giacome encore plus qu’elle ne me détestait.Les coups ne me faisaient jamais rien, et je n’avais rien contre la cave. Le problème, c’était le manque de lumière qui m’empêchait d’étudier et qui me laissait en proie à la voix, cette voix qui me poussait à faire du mal, à me débarrasser de la source du problème. Dans la cave, il faisait une chaleur étouffante et la faible luminosité créait des ombres. J’avais constamment l’impression qu’il y avait des entités avec moi qui me chuchotaient des choses que des oreilles juvéniles n’étaient pas censées entendre.
Des choses que le cerveau d’un enfant n'était pas censé comprendre.Je ne les ai jamais écoutées jusqu’au jour où ma génitrice a décidé de quitter la maison avec son fils préféré. Ce jour-là, je n’en ai absolument aucun souvenir. Tout ce que je sais, c’est que la voix a pris le dessus.
Père s’est rendu compte de tout le potentiel que j’aurais pu avoir comme « Made man », mais Pedro, qui à l’époque était mon garde du corps, l’a convaincu de me confier à un foutu toubib. Si père était contre, il a fini par accepter quand j’ai eu une quinzaine d’années. Il était curieux de savoir ce qui se passait dans la tête de son fils taré, je présume.
Il m’a confié au docteur Lincolm. Je me rappelle encore de cette odeur de Javel qui semblait imprégnée aux murs, de la couleur blanche immaculée de ma cellule, de taille moyenne avec un lit aux draps verts. Ma cellule était à côté de celle d’un homme d’une soixantaine d’années qui passait son temps à hurler. Il me donnait des envies de meurtre ; j’avais constamment envie de tapisser les murs de son sang, de serrer sa gorge jusqu’à voir la vie s’échapper de ses yeux. Mais les rares fois où j’ai eu une ouverture pour m’en prendre à lui, les membres du personnel me tombaient dessus et m’administraient un tranquillisant.
Le docteur Lincolm me recevait deux fois par semaine dans son bureau, une énorme pièce aux murs blancs. Tout un pan du mur était occupé par des livres, des trophées et des diplômes. Une baie vitrée me permettait de voir certains patients déambuler dans la cour avec une insouciance utopique, car il y avait des gardes à chaque coin prêts à administrer leurs tranquillisants avec plus de facilité qu’un prêtre ne lance de l’eau bénite.
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L'ombre 2
RomanceRiccardo Gaviera est venu au monde pour être le bras armé de son frère. Il n'a jamais eu à faire de choix puisque toute sa vie a déjà été décidée pour lui. Mais de nature indomptable et irréfléchie, celui qu'on surnomme la pieuvre de l'ombre est le...