Riccardo

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La porte s'ouvre dans un fracas. Gayle regarde la rue, puis, quand elle me trouve adossé à la voiture, elle me sourit.

- J'ai cru... Elle s'interrompt en se mâchouillant la lèvre. Je déverrouille la voiture et m'installe derrière le volant. Un silence très pesant s'installe. J'ai la tentation de démarrer et de m'éloigner d'ici, mais elle va me faire pire que ce qu'elle a fait à Emma. Elle prend place à côté de moi et me tend la bouteille. Je fouille dans la boîte à gants jusqu'à trouver mes pilules.

- Comment tu te sens ?

- Gayle, ce n'est pas un conte de fées, tu ne vas pas me guérir miraculeusement en étant gentille ou en posant un baiser sur mon front. Je finis par m'agacer, c'est plus fort que moi. Son comportement soucieux m'agace.

Je ne sais même pas pourquoi je lui dis ça. Enfin, si, je sais : je ne veux pas qu'elle se voile la face. Mon état ne va jamais s'améliorer.

Riccardo Gaviera est paranoïaque envers les femmes...
Son cas est grave, mais il est rattrapable.
Avec un bon suivi psychologique, il pourrait avoir une vie normale.

Merde, pourquoi j'entends constamment la voix du docteur Lincolm ? J'aurais dû tuer cet imbécile. Rattrapable, sérieusement ? Il a parlé de moi comme si j'étais un jouet cassé qui devait retourner à l'usine, une erreur de fabrication qui cherche une deuxième chance.

- Si les choses étaient aussi simples, j'aurais ressuscité ma mère. Je ne me suis jamais bercé d'illusions, pas après avoir découvert que tu es schizophrène de la pire des façons. Mais je te l'ai déjà dit, je reste avec toi.

- Tu...

- Pitié. Tais-toi et prends tes médicaments. Si j'ai envie que quelqu'un m'énerve, j'irai voir ma sœur.

Je soupire avant d'obéir. Très peu de personnes osent me parler comme ça, mais d'où sort cette fille ?

- Tu veux m'en parler ? Je sens ses doigts parcourir ma joue alors que je regarde l'arbre en face de nous. Je tourne légèrement la tête pour frotter ma joue rugueuse contre sa paume avant de l'embrasser.

En cet instant, j'arrive à distinguer la réalité de ce qui ne l'est pas. Elle est ma réalité. Elle regarde ma main qui tremble sur le volant. Ça aussi, ce n'est pas nouveau. Tout mon corps tremble quand je suis pris de pulsions. Sans un mot, elle pose sa main sur la mienne et entrelace nos doigts.
C'est ça, l'affection ? Ce que je lis dans ses yeux.

- J'ai eu l'impression de voir Dominguez.

Je ne lui dis pas tout. Je ne veux pas l'inquiéter, mais passer de la peinture sur une maison délabrée ne change pas les choses. J'aurais beau choisir mes mots, Gayle n'est pas dupe. Elle sait que Dominguez est une menace.

- Je pense qu'il occupe beaucoup tes pensées, d'où les hallucinations. Nous le trouverons.
Je hoche la tête, mais je n'arrive pas à me détendre. Quelque chose m'échappe. Cette situation me frustre. Je suis un chasseur hors du commun, et ça va faire un an que Dominguez me nargue. Il est sur l'île, à portée de main, mais en même temps inaccessible.

Dès que je démarre, Gayle met la musique. Forever de Lewis Capaldi remplit l'habitacle et, quand elle commence à chanter, je me rends compte d'une chose : sa voix est à l'opposé de son apparence. On dirait qu'un million de démons libérés du septième enfer chantent en même temps qu'elle. J'augmente le volume pour ne plus l'entendre, mais elle prend ça comme une invitation pour chanter plus fort. Merde, quelle horreur.
Je ferais don de mon ouïe en cet instant si j'en avais la possibilité. Soudain, elle éclate de rire.

- Tu trouves que je chante bien ?

- Non, c'est horrible.

- Le seul moment où j'ai besoin de tes dons de mythomanie, tu ne t'en sers pas. J'appuie sur l'accélérateur pour dépasser un connard qui roule trop lentement.

L'ombre 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant