3 | Rien

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Vendredi 14 avril 2016

Réveil: 7h, 8h ? Je ne sais pas.
Douche: non.
Vêtements: sur le dos.
Maquillage: non.
Petit déjeuner: un cookie.

Ca fait maintenant presque un an que je suis ici. A New York.
Qu'est-ce que je fais ici ? Je ne sais pas, j'attend, je regarde, je mange quand je le peux, je dors.

Il y a un an encore j'étais à l'hôpital. Seule.
Où est passé Theo ?
Où sont mes parents ? Mon frère ? Ma soeur ?

Je disais donc qu'il y a un an j'étais à l'hôpital:

Aïe. J'ai mal à la tête. J'ai mal au dos. Je suis allongée dans une grande pièce blanche, seule.
Une femme d'environ une trentaine d'année entre dans cette pièce vêtue d'une blouse blanche. Sur l'étiquette de sa blouse est inscrit "Nathalie, aide soignante". Bon je dois être à l'hôpital.
Elle semble ravie que je sois réveillée, surprise même.
Pourquoi ?
Elle me demande comment je me sens. Si je me souviens de ce qui m'est arrivé. Quel jour on est.
Tant de questions auxquelles je ne connais pas la réponse.
Si je tiens compte de ce qu'elle m'a dit nous sommes le Jeudi 5 mai 2015.
2015 ?
Non on est en 2013, je le sais ça. On est en 2013.
Elle me montre son portable: Jeudi 5 mai 2015 / 17h50.
Elle me demande la dernière chose dont je me souviens.
Je me rappelle m'être endormie sur l'épaule de Theo.
Theo ? Où est-ce qu'il est ?
"Je suis désolée mademoiselle mais votre ami est décédé depuis 2 ans lors de cet accident".
Je ne la crois pas. Ce n'est pas possible.
Il faut à tout prix appeler mes parents.
Je lui donne leurs identités. Elle me dit qu'elle va voir si elle trouve une réponse.
Mort ? Theo est mort ? Mon Theo. Celui avec qui je suis restée deux ans. Celui que j'aime plus que tout. Mort.
Mon informatrice revient et réitère ce qu'elle venait de me dire.
"Je suis désolée mademoiselle mais ils sont tout deux, ainsi que votre frère et votre soeur, décédés depuis 2 ans lors de cet accident".
Ce n'est pas possible puisque nous n'étions pas dans le même avions.
Ah ? Ils sont entrés en collision ? A proximité de New York ?
Seulement six survivants. Tous dans le coma sauf moi.

Vous allez donc me dire que j'aurai pû rentrer chez moi avec ma fortune. Mais non.
J'ai essayé.
Je suis allée à l'hôtel de ville de New York. Une jeune femme charmante.
Mon identité. Ma date de naissance. Mon lieu de naissance.
Décédée ? Il y a deux ans ?
Bon. J'ai donc contacté des amis de mes parents pour essayer d'obtenir leur aide.
Ils sont désolés de ce qui nous est arrivé.
C'est bien gentil mais c'est pas ça qui va m'aider.
Etant déclarée morte il y a deux ans avec le reste de ma famille, il ne reste plus rien.
Rien.
Plus de maison. Plus de voiture. Plus d'argent.
Rien.

Voilà donc pourquoi aujourd'hui je suis à New York. Seule. Sans rien.
Je dors à la Grande Gare Centrale.
Je mange ce que je trouve, ce qu'on me donne.
Je me lave avec des lingettes.

La journée je me pose sur un trotoire pas loin de Central Park et d'un supermarché.
Les gens sont assez gentils. Ils me disent bonjour. Me donne quelques pièces. De la nourriture et des vêtements même parfois.
Une grand-mère est venu discuter avec moi durant une après-midi entière un jour de beau temps.
Les jeunes qui passent à côté de moi eux me regardent avec pitié. Ou se moquent de moi.
L'un deux m'a même dit un jour: "Canon la meuf. Dommage que tu sois clocharde, je t'aurai bien pris par derrière."
Oui, un porc.

Mais un jour, une dame très belle, très bien habillée, très gentille m'a déposé un billet de 100$.
Je ne plaisante pas.
Elle m'a dit que c'était pour me payer l'hôtel et le restaurant pour me refaire une beauté.
Ce n'est évidement pas ce que j'ai fait.
Je me suis juste acheté de quoi me laver et de la nouriture quand j'en avais besoin.

Aujourd'hui je suis toujours posée au même endroit que celui où je me trouve habituellement.
Je suis sur une chaise.
Vêtue d'un jean, un pull et une veste.
Je souris quand je vois des gens passer.
Je dis bonjour lorsqu'ils le font.
Je caresse les chiens qui passent devant moi.
Un groupe de fille, d'environ mon âge, ou plus jeunes, passe devant moi.
L'une d'elle me dépose un billet de 5$.
Ses copines se moquent d'elle. Elles lui disent que je suis une camé.
Elle me regarde comme pour s'excuser et repart.

Mes amis me manquent. J'ai essayé de les appeler à plusieurs reprises.
Je leur ai laissé des messages.
Aucun d'eux n'a répondu.
Je n'existe plus pour personne.
Même mes grands-parents ne m'ont pas crû. Ils m'ont dit que ce genre de blagues n'étaient pas drôle, que j'étais morte.

Oui ça fait mal.
Mal de se dire qu'on est plus personne.
Mal de se dire qu'on avait tout et qu'aujourd'hui c'est finit.
Tout ne tient qu'à un fil.
Une vie entière détruite.

Je vois un garçon passer devant moi.
Il s'avance vers moi.
Il vient me voir ? Vraiment ?
Il pose un billet de 10$ et s'en va.
Il était blond. Un blond aux yeux bleu/gris. Un piercing du côté gauche de sa lèvre inférieure. Des lèvres roses.
Je n'avais pas vu un garçon aussi beau depuis bien longtemps.
Theo.

19h50 est affiché sur la pendule devant moi.
Je ramasse mes affaires et me lève pour rentrer à la gare.
Une main se pose sur mon épaule droite. Je sursaute. Me tourne. Lui.
- Je ne voulais pas te faire peur.
Je lui souris.
- Tu rentres chez toi là ?
- Pas vraiment. Enfin on peut pas vraiment dire que c'est mon chez moi.
- Viens avec moi alors.
- Je ne préfère pas.
- Non mais chez moi je voulais dire. T'as l'air d'avoir besoin de prendre une douche. Et puis t'es toute maigre. Viens il faut que tu manges.
J'hésite. Est-ce que c'est bien de suivre un inconnu ?
Il a l'air gentil après tout.
Mais imaginons qu'il me veuille du mal.
J'hésite.

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