Il fut 19h18 quand Oli fit son apparition, sans s'excuser de son retard. Lemie ne fut pas froissée pour autant, même si l'impatience l'avait un peu gagné. Mais, pour une fois qu'elle recevait quelqu'un, c'était déjà bien que cette personne soit venue jusqu'à elle, même si le trajet était loin d'être long, de sa porte à la sienne. Lemie avait pris l'habitude de ne jamais inviter qui que ce soit, puisque jamais aucun d'eux ne se déplaçaient pour elle. C'est une chose de ne pas baisser les bras, mais c'en est une toute autre de s'acharner selon la jeune femme. Oli était donc une grande première dans sa triste existence.- J'ai apporté de la vodka. Annonça l'invitée, brandissant la bouteille avec fierté.
Lemie remercia la jeune femme, et n'osa pas avouer qu'elle ne buvait jamais. Son étrange sagesse, elle en fut sûre, serait à l'origine de certaines moqueries de la part d'Oli. Comment cela aurait il pu se passer autrement, compte tenu de la personalité de sa convive. Elle préféra de tenter de noyer le poisson, autant que possible. Tandis qu'elle essayait de dissiper son malaise, Oli se dirigea vers le salon, s'alluma une cigarette, sans s'interroger sur le fait qu'elle en ait l'autorisation entre ces murs, et se jeta sur le canapé, telle une nouvelle habitude qui naissait en elle.
- Alors, on mange quoi ? Demanda t elle.
- Pizza, salade ! Ça te convient ?
- Impeccable.
Lemie apporta le repas jusqu'au salon, puisque sa visite semblait ne pas vouloir bouger de son canapé. Elle observa Oli retirer un à un chaque champignon qui recouvrait la pizza.
- Tu n'aimes pas ça ? Demanda Lemie.
- La vraie question est pourquoi tu aimes ?
Lemie ne sut pas quoi répondre à la jeune femme tant la question lui parut stupide. Pour éviter d'entrer dans un débat de ce type, sur un sujet si peu intéressant, elle changea de sujet aussi vite.
- Alors, quel genre d'histoires connais tu sur cet appartement ? Lui demanda t elle.
- Patience ! On n'a même pas encore ouvert la bouteille. Répondit Oli.
Lemie sentit qu'elle allait devoir prendre sur elle. Soit pour l'accompagner à se saouler, soit pour avouer sa sobriété jusqu'à ce jour. Mais Oli, qui faisait visiblement attention aux moindres signes, remarqua le malaise de son hôte très rapidement.
- Et bien quoi ? Tu as juré au bon Dieu de passer ta vie à être sérieuse ? S'exclama Oli.
- Non. Je ne suis pas croyante.
Oli parut surprise de cette révélation, comme si une fille comme Lemie ne pouvait pas préférer les choses terre à terre, aux sciences occultes.
- Tant pis ! Répondit Oli.
- Tu es croyante toi ?
- Je crois en moi. C'est déjà pas mal ! Lança Oli.
C'est alors que la jeune femme, après avoir rincé sa gorge à grand coup de vodka, proposa la bouteille à Lemie. Elle semblait avoir conscience que cela mettait son hôte dans une position complexe et quelque peu gênante, mais Oli voulait provoquer quelque chose en elle. Mal à l'aise, hésitante, presque tremblante, cette dernière n'osa pas refuser, et prit la bouteille entre ses mains, posa ses lèvres sur le goulot, et en fermant les yeux, tenta d'avaler ce qui avait le pire goût qu'elle avait connu jusque là.
- Si tu n'aimes pas, c'est normal. Personne n'aime réellement ça. Souligna Oli.
- Alors pourquoi en boire ?
- Pour la sensation. N'est ce pas pour le ressenti que l'on vit ? La preuve, tu as choisi cet appartement pour ça. Tout comme tu as tenté d'ouvrir la pièce, pour les mêmes raisons.
- Peut être ! Répondit Lemie.
- Allez, bois encore.
Lemie, sous l'influence de sa convive, prit une autre gorgée, au goût toujours aussi infâme dans sa bouche, qui lui donna presque envie de vomir instantanément. Mais elle sentit aussi un début de chaleur s'emparer de son front, puis encadrer une large partie de son visage. Oli n'avait pas menti, le ressenti était surprenant. Elle enchaîna plusieurs rencontres entre ce breuvage, et ses lèvres, ce qui finit par lui faire réellement comprendre ce dont Oli lui parlait, quand elle évoquait la sensation. Après quelques autres gorgées de plus, Lemie ne tint plus le coup, et sentit ses pensées les plus profondes prendre beaucoup de place. Comme si, soudainement, tout ce qu'elle réussissait à taire depuis une éternité, n'avait qu'un seul but : se libérer. Afin de s'éviter l'affront de raconter toute sa misérable existence à quelqu'un qui n'y prêterait sûrement pas 'a moindre attention, elle lança la question qui lui brûlait tant les lèvres.
- Qu'y a t il dans la malle ?
Oli se leva soudainement. Prit sa veste de faux cuir, vulgairement étalée sur le canapé et remercia de son invitation Lemie. Celle ci prétexta être subitement prise de fatigue, et préféra partir.
- Attends ! Tu devais me raconter des histoires sur les lieux. Rappela Lemie, tentant désespérément de la retenir quelques minutes de plus.
- Une prochaine fois.
- Quand ça ? Demanda la jeune femme.
Oli semblait ne pas savoir quand elle pourrait honorer sa part du contrat, mais elle assura que ce serait pour bientôt. Elle quitta l'appartement et laissa Lemie seule avec elle même. Cette dernière qui avait compris que c'était sa question qui avait déclenché ce départ. L'état dans lequel se trouvait la jeune femme ne l'aidait en rien à se raisonner convenablement. Puis, en débarrassant les restes de cette soirée, les yeux de celle ci se posèrent sur l'horloge. Il était déjà très tard, pourtant elle avait eu le sentiment de n'avoir passé que quelques instants en compagnie de son invitée. Elles n'avaient pas eu le temps d'échanger réellement. C'est donc pleine de déception, et légèrement ivre, que Lemie décida d'aller se coucher. D'essayer de dormir un peu.
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".