Après une soirée longue et pénible pour Lemie, qui ne cessait de s'inquiéter de comment se passerait la visite de ses parents, la jeune femme avait fini par s'endormir, tant bien que mal. Au petit matin, l'esprit encore préoccupé, elle savait qu'elle ne couperait pas à la visite que lui avait promis sa mère. Pourtant, elle aurait donné beaucoup pour être au travail, plutôt que chez elle, en compagnie de ses parents. Il faut dire que la jeune femme, en déménageant, pensait s'éloigner également de ceux qu'elle estimait la retenir prisonnière de quelque chose, à l'image de son père et de sa mère. Mais, de toute façon, elle n'avait plus le choix que de se préparer pour leur venue. Lemie passa les premiers vêtements qui lui tomba sous la main. Elle n'avait pas prévu de faire d'efforts particuliers pour eux. Quoi qu'elle aurait pu faire, Lemie en était convaincue, ses parents finiraient par trouver quelque chose à redire. Si ce n'était pas sur son aspect vestimentaire, ce serait sur sa mine, ou sur n'importe quoi d'autre qui justifierait une nouvelle remarque acerbe de leur part.
Quelques heures plus tard, Lemie entendit qu'on frappait à la porte. Le grand moment était venu. Elle savait qu'en ouvrant celle ci, ses parents seraient tout, sauf souriants, en découvrant les lieux. Après une grande inspiration, elle finit par ouvrir et les laisser entrer chez elle, persuadée que la visite finirait par mal se passer.
De pièce en pièce, les parents de Lemie découvraient les lieux, sans dire le moindre mot. Le silence de ceux ci faisait d'autant plus ressortir tout le mal qu'ils pouvaient penser de ces lieux, et donc indirectement d'elle, tant en pensant à ses échecs, qu'à ce qu'elle avait fini par devenir.
- Alors, vous en pensez quoi ? Demanda Lemie, comme pour mettre un peu plus d'huile sur le feu encore.
- C'est particulier. Répondit sa mère.
Le père de Lemie ne prononça pas le moindre mot. S'il n'avait pas été là, cela aurait été pareil. Lemie les invita dans le salon, et leur proposa à boire. Mais tous deux refusèrent. Boire ne serait ce qu'un verre d'eau dans un tel endroit, signifiait déjà se salir à leurs yeux. Lemie ne l'ignorait pas, et sentait le malaise se propager entre eux et elle. Refusant de s'asseoir, les parents de Lemie la contemplait, comme pour tenter de comprendre les choix de cette dernière. C'est alors que sa mère posa la question qui lui brûlait les doigts.
- Et cette décoration dans ta chambre, c'est toi qui l'a voulu ainsi ?
- Tu parles des toiles aux murs ? Demanda Lemie.
- Oui. De quoi d'autre ?
- C'est pour un projet !
- Quel genre de projet ?
- Il est encore trop tôt pour en parler. Une autre fois peut être... Répondit la jeune femme.
Sa mère n'insista pas plus, mais laissa s'échapper une sorte de soupir qui en disait long. Il ne faisait aucun doute que pour elle, sa progéniture faisait n'importe quoi, et ce, depuis un bon moment déjà. Comment était il possible que cette fille là, soit la leur ? Elle ne ressemblait en rien à ce qu'ils avaient tenté de lui inculquer, durant tant d'années. Mais, pour Lemie, ce n'était pas du tout la même chose. Ses parents n'avaient jamais cherché à lui apprendre quoi que ce soit. Elle avait le souvenir d'une enfance mitigée. Coincée entre deux parents qui étaient partis de rien, pour arriver jusqu'en haut. Leur ascension sociale était un exemple pour beaucoup, mais au sein du foyer, elle ne l'était pas. Elle servait davantage à rappeler à Lemie que elle, elle ne réussirait jamais à ce point. Qu'elle ne marcherait jamais dans les traces de ses parents, qu'elle voulait éviter de toute façon. Cette différence entre elle et eux avait creusé un large fossé, avec le temps. Les rapports s'étaient détériorés, même si personne ne pouvait réellement dire qu'ils avaient été un jour bons.
La visite fut finalement de courte durée. Soucieux de ne pas s'asseoir dans le canapé, par peur évidente de souiller leurs beaux vêtements, ils décidèrent de quitter les lieux moins d'une demi heure après leur arrivée. Lemie fut soulagée de les voir se diriger vers la porte d'entrée, comme si ces quelques minutes avaient largement trop durées à son goût. Au moment de sortir des lieux, le père de Lemie, qui s'était isolé dans son mutisme, remarqua la porte à l'extérieur.
- Elle mène où cette porte ? Demanda l'homme.
- C'est une autre pièce qui appartient à l'appartement. Répondit Lemie.
- Ah très bien, tu nous la fais visiter ? Ajouta sa mère.
- Non. Je n'ai pas la clé. Le serrurier doit venir pour me changer la serrure.
Lemie avait choisi de mentir, car elle le savait bien. Si ses parents avaient vu cette pièce, un peu sale, dont la seule utilité était d'accueillir une malle ne lui appartenant même pas, ils auraient sans doute encore trouvé un bon argumentaire pour lui rappeler ses mauvais choix. Et ça, Lemie n'en voulait pas. Elle attendait seulement de les voir partir. Ils semblèrent un peu perplexes face à la réponse de leur fille, mais ne cherchèrent pas plus loin, comme à leur habitude. Toutefois, Lemie en était sûre, une fois entre eux, la discussion tournerait forcément autour de ce qu'ils venaient de découvrir.
Sa visite enfin partie, Lemie se retrouva à nouveau seule, comme elle l'avait tant désirée. C'est alors qu'enfin, pour la première fois depuis son arrivée dans ce trou à rat, l'inspiration lui vint subitement. Elle se rua dans sa chambre, prête à dégainer pinceaux et peintures. Perchée sur son escabeau, elle tentait d'écrire les premiers mots qu'elle avait en tête, sur la toile la plus à gauche, au dessus de son lit.
"Je suis une orpheline qui rencontre parfois ses parents".
Lemie s'arrêta un instant pour contempler cette phrase. Maintenant qu'elle était inscrite, il semblait évident que ses parents n'auraient plus jamais accès à sa chambre. Pas plus que n'importe qui d'autre. Il fallait que tout ceci reste secret, au moins jusqu'au grand jour où cela serait révélé.
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".