Lemie décida qu'il était grand temps de rentrer chez elle, rejoindre sa solitude et ce silence assourdissant. La jeune femme n'allait pas tarder à comprendre qu'il en existait deux types. Il y avait ce mutisme dont faisaient preuve tout ce qui l'entourait. Les meubles, les objets, les insectes qui peuplaient son appartement. Et puis, cette autre forme de silence qu'elle n'allait pas tarder à rencontrer. Celui qui s'empare de tout, qui ronge, qui consume. En montant les escaliers, l'âme en peine, Lemie n'avait aucune envie de rentrer. Elle repensait à ce pauvre Dirdre qui lui avait raconté ses malheurs, sans savoir qu'elle en était un peu le berceau. Arrivée presque en haut des marches, en levant les yeux vers sa porte, elle trouva Oli assise, tremblante, sur le palier.
- Oli ? ça va ? Que fais tu là ? Interrogea Lemie.
Mais la jeune femme ne répondit rien. Elle semblait traumatisée, choquée. Quelque chose s'était passé, c'était d'une évidence troublante. Mais elle ne semblait pas du tout disposée à se livrer, ou peut être pas à Lemie. Leurs rapports étaient si complexes, que cette dernière n'était pas tout à fait sûre d'être la bonne personne pour lui apporter réconfort. Pourtant, c'était elle qu'elle était venue trouver, sans doute sans hésitation. Probablement parce qu'elle n'avait qu'elle. Lemie le savait, elle était seule, au moins autant qu'Oli. Elle ne pouvait pas lui refuser l'hospitalité. Elle se devait de lui tendre la main que personne ne lui avait jamais tendue.
Elle se baissa, attrapa par le bras son invitée pour la remettre debout, et la fit entrer dans son appartement. Elle installa la jeune femme sur son canapé, après lui avoir retirée sa veste. Lemie observait Oli, sans trop savoir quoi dire sur le moment. Finalement, elle alla lui chercher un verre d'eau, se mis à ses côtés, et tenta d'ouvrir le dialogue.
- Que s'est il passé Oli ?
L'invitée resta figée dans son silence. Elle était là, mais ne l'était pas vraiment. Le regard perdu dans le vide, Oli donnait l'impression de n'être plus tout à fait elle. Qu'avait il bien pu lui arriver pour qu'elle se mette dans un tel état ? Elle qui avait toujours donné la sensation d'être sûre d'elle, et de ne pouvoir se laisser atteindre par quoi que ce soit, était soudainement une petite chose fragile, presque recroquevillée sur elle même, sur ce canapé sur lequel elle aimait se jeter comme si c'était le sien. Lemie ne sut que faire de la situation et proposa à la jeune femme d'aller lui faire couler un bain. Oli hocha la tête comme pour signifier qu'elle était d'accord, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle ne voulait plus parler, ne plus rien dire, et Lemie se devait de respecter ça, même si c'était plus facile à dire qu'à faire.
La baignoire pleine d'eau, à température parfaite, Oli se traîna jusqu'à la salle de bain pour s'y plonger. Lemie attendit longuement le retour de son invitée, qu'elle espérait plus loquace après ça. Pendant ce temps, elle put réfléchir à la question. Elle avait tant voulu être seule, et tant voulu la présence d'Oli. Soudain, voilà qu'elle avait la combinaison parfaite. Sa pensionnaire était là, mais sans l'incommoder de ses paroles. N'était ce pas là ce que Lemie voulait par dessus tout ? Pourtant, cela était loin de la satisfaire. C'en était presque une leçon de vie : Ce que l'on veut et que l'on obtient, est d'une pâleur sordide. Si posséder quelque chose que l'on espérait, en revenait à espérer son contraire, alors pourquoi vouloir quoi que ce soit ?
La jeune femme en était arrivée à ce constat, quand elle entendit Oli sortir enfin de la baignoire. Elle y avait passé plusieurs dizaines de minutes, au point que l'eau avait dû finir par devenir froide. Elle revint dans le salon, avec toujours la même détresse accroché à son visage. De toute évidence, elle n'allait pas être davantage loquace après ça. Pourtant, Lemie ne pouvait se résoudre à simplement laisser aller. Elle ne pouvait accepter de voir Oli souffrir sous ses yeux, et ressentir toute l'impuissance qui était la sienne en même temps. Depuis toujours, Lemie était profondément touchée par la détresse des autres. Comment aurait elle pu gérer celle de quelqu'un qu'elle connaissait un peu, quand elle n'arrivait déjà pas à supporter celle des inconnus.
- Il faut que tu me parles ! Insista Lemie.
Oli resta muette, ne prenant même pas la peine de lever les yeux vers son hôte.
- S'il te plait ! Je ne peux pas t'aider si tu ne me dis rien. Poursuivit Lemie.
Le silence ne se brisait pas. La jeune femme n'eut d'autre choix que d'accepter qu'elle n'en saurait pas plus, du moins pour ce soir là. Elle se leva pour se diriger vers sa chambre, quand elle entendit Oli murmurer.
- Peut être qu'il n'y a rien à dire.
Lemie se retourna, et lui demanda de répéter, afin de s'assurer que ce qu'elle avait entendu, était bien ce qui avait été prononcé. Mais Oli fit comme si la jeune femme n'était déjà plus là. Partie dans sa chambre, Lemie se rongeait les sangs. Qu'avait il bien pu arriver à son invitée pour que celle ci change du tout au tout. Pire encore, Lemie, à force de réflexion, se rendit compte que, peut être, elle était en partie responsable de la situation. Après tout, si elle ne l'avait pas laissé le soir où Oli lui avait fait découvrir un pan de son existence, alors tout serait probablement différent. La jeune femme ne put que se résoudre à admettre sa culpabilité, et le résultat de son mauvais choix. Cela n'en était qu'un de plus, mais certainement celui de trop.
C'est alors que Lemie comprit que si elle n'avait jamais hébergé Oli, au départ, alors rien de tout cela ne se serait produit. Elle pourrait concrétiser son projet, sans se soucier de qui que ce soit d'autre qu'elle. A l'évidence, plus Oli se taisait, plus Lemie se souvenait du pourquoi de sa présence ici, et plus son invitée prenait de place dans sa vie. Le cercle vicieux, dans lequel était en train de glisser la jeune femme, lui parut soudainement limpide. Ce n'était pas seulement une mauvaise décision qui l'avait guidé là, mais une succession de cette pratique.
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L'Appartement
Historia Corta"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".