Chapitre 38 - Hurlements

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Lemie ne s'en rendit pas compte, mais après avoir écrit ces quelques mots, elle avait laissé son corps épuisé tomber sur ses draps. Ils étaient rouges. Elles ne se souvenait même pas les avoir changé. C'est comme pour tout un tas d'autres trucs, elle ne se souvenait pas.

Il fallait reprendre par la fin, pensa t elle, à peine les yeux ouverts. C'est ce qu'elle devait faire. C'est ce qu'elle allait faire, si elle y parvenait. Forte des conseils du vieil homme, de ce qu'elle avait appris après quelques mois ici. Cela risquait de faire mal. C'était évident. Mais si cela pouvait lui permettre de se sentir en vie, cette douleur serait alors le prix à payer pour trouver une issue, quelle qu'elle soit. <<On doit s'épuiser à la nage pour ne pas se noyer. On doit faire mille efforts pour apprendre à marcher. Tout n'est que souffrance, bien plus que mensonge, finalement>> pensa t elle. En une seule conversation avec Oli, tout lui paraissait très différent, à nouveau.

Elle sortit de sa chambre, ferma la porte, toujours traversée par ses vieux démons qui lui rappelaient de ne pas délivrer son message tant qu'il ne serait pas arrivé à son point final. Elle fit quelques pas dans le couloir, hésitant entre aller dans le salon à gauche, ou dans la cuisine, à droite. Si elle allait tout droit, elle finirait par devoir tourner à droite pour rejoindre la salle de bain. Et après avoir appris ce qu'elle avait appris la veille, il n'en était pas question. Pas tout de suite. Plus tard. Quand ça lui semblerait plus facile. Finalement, c'est le salon qu'elle décida de rejoindre.

Oli était là, assise, une tasse jaune à la main.

- Que bois tu ? Demanda Lemie, dans l'unique but d'ouvrir la discussion.

- Un chocolat chaud. Répondit Oli, poliment.

On sentait une sorte de malaise entre les deux filles. Les révélations de la veille avaient fait des ravages. Pas pour la découverte du métier de Lemie. Pas pour la potentielle amnésie d'Oli sur son enfance. Pour ça. Pour son amie qui avait touchée le désespoir au sein même de cet appartement. Et ça, ça générait un drôle de froid entre elles. Oli, parce qu'elle avait sans doute le sentiment d'en avoir trop dit. Lemie, parce qu'elle se sentait moins seule à souffrir, sous ce toit.

- Ça ne va pas ? Demanda Oli, qui remarqua le teint blafard de son hôte.

- Si. Très bien.

- Donc c'est non !

- Pourquoi dis tu ça ?

- Je commence à connaître le personnage Lemie. Quand tu dis oui, c'est que tu penses non.

Lemie ne put nier ce fait. Elle l'avait suffisamment fait par le passé. Son invitée savait. Elle l'avait vu recouverte de sang, dans sa salle de bain, expliquant qu'elle se voyait enfin telle qu'elle était : cassée. Alors c'était devenu impossible de mentir. «Tiens, c'est amusant», pensa t elle. Il y a encore peu de temps, elle reprochait à Oli de prôner le mensonge, et voilà qu'elle se rendait compte que de menteuse, elle en faisait une belle aussi. Peut être pire et plus redoutable que les autres. Peut être bien, oui.

- C'est la tentative de suicide de mon amie qui te trouble ? Ajouta Oli.

- C'est que... C'est un peu perturbant de savoir que quelqu'un a essayé de mettre fin à ses jours ici.

- Pourquoi ? Tu ne l'as pas vu. Moi oui. Et pourtant je vis ici, avec toi.

- Et ça ne te fait rien quand tu entres dans la salle de bain ?

- Je n'y pense pas. J'ai effacé les images de mon esprit.

- Ah oui, c'est vrai, tu avances.

«Tu parles», lança t elle à voix basse. Mais pas suffisamment pour qu'Oli ne l'entende pas.

- Et revoilà Lemie dans son meilleure rôle. Cria l'invitée, en applaudissant la prestation.

Lemie ne comprit pas la réaction d' Oli. Pour elle, c'était naturel de se sentir perturbée par ce qu'elle lui avait révélé la veille. Elle ne devait pas avoir de cœur pour penser autrement. D'ailleurs, c'est ce qu'elle lui dit pour se défendre.

- Vraiment ? Tu penses que je n'ai pas de cœur parce que tu ne me vois pas aussi fragile que toi ? Répondit Oli, en haussant toujours un peu plus la voix.

- Ton amie est à l'hôpital et tu ne vas presque jamais la voir. Tu me parles comme à un chien, alors que je t'héberge. Tu as failli nous mettre dans le décor avec ta voiture. Et tout ça, sans la moindre culp...

- Stop. Interrompit Oli. Qu'est ce que tu racontes ? Je prends des nouvelles de mon amie chaque jour. Et je ne nous ai pas mis dans un arbre, ça c'était ton rêve, et je n'y conduisais même pas.

- Et pour le fait de mal me parler ? Ajouta Lemie, le corps tremblant de colère.

- Je te parle très bien.

- C'est faux.

- Dis moi quand je l'ai fait. Répondit Oli.

Lemie explosa. Pour elle, c'était tout le temps, ou presque. Souvent, en tout cas. Assez pour que ça la blesse. Suffisamment pour que ça la torture. Elle avait remarqué depuis longtemps qu'Oli la bousculait, toujours un peu plus. Elle avait même fini par penser que c'était pour son bien. Mais ça ne l'était pas. Ça ne pouvait pas l'être. Pourtant, à mesure qu'elle vomissait ses reproches, elle se rendit compte qu'elle avait peut être tort. Mais c'était trop tard. Trop tard pour revenir sur tout ce qu'elle venait de dire. Trop tard pour admettre son erreur de jugement. Oli avait raison, ne pas montrer ses larmes n'enlève rien au drame qui vit en quelqu'un. Encore une fois. Elle avait raison. C'en était agaçant.

Les deux jeunes femmes montèrent le ton, encore davantage. Tellement qu'aucune n'écoutait l'autre. Si bien qu'elles avaient beau tenter de se raisonner mutuellement, rien n'avançait. Ça criait fort, mais ça ne se disait pas grand chose. Lemie quitta le salon et claqua la porte de sa chambre. Elle inscrivit «Hurlements», sur l'une de ses toiles. C'est ce qui venait de se passer. Et pourquoi en fin de compte ? Pour rien, comme tout le reste. C'est au vieil homme que Lemie voulut parler. Lui, il comprenait tant des choses qui lui échappait. Mais il allait encore lui dire de reprendre tout depuis la fin. Elle le savait et n'avait pas envie d'entendre ça. Pour rien au monde. Parce que de toute façon, elle ne savait pas comment faire. Comment s'y prendre. 

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