Les deux femmes entrèrent dans le magasin, qui proposait des promotions généralement alléchantes pour toutes représentantes de l'espèce féminine. Mais Lemie ne savait pas où regarder, et préféra suivre Oli au fil des immenses rayons, où les choix ne manquaient pas. Il y avait de tout, et de toutes sortes. Pour les minces, les grosses, les petites, les grandes. Celles qui voulaient se fondre dans la masse, comme celles qui voulaient se faire remarquer. Oli semblait voir tout, sans rien regarder. A plusieurs mètres, elle était capable de repérer un habit qui pouvait lui plaire. Lemie, quant à elle, se sentait obligé de visionner les longues rangées de vêtements, un par un.
- On sera encore là demain si tu t'y prends comme ça. Souligna Oli.
- Il faut bien que je regarde pour voir si quelque chose me plaît.
- C'est pathologique chez toi. Tu ne peux pas simplement te laisser faire ?
- Tu entends quoi par là ?
- Et bien, laisse le coup de coeur arriver. C'est comme tomber amoureuse. Tu ne choisis pas la personne. Elle arrive dans ta vie, s'impose à toi, et tu ne peux pas lui échapper longtemps.
- On parle de vêtements là. Pas d'amour. Repondit Lemie.
- C'est la même chose. Tout fonctionne de cette façon. Ecoute bien, regarde autour de toi. Qu'est ce que tu vois ? Des gens qui cherchent des habits, ou des gens qui cherchent quelque chose de plus grand ? S'habiller, c'est aussi s'imposer dans la société. Trouver sa place, son identité. Donner les premiers signes de sa personnalité. Ça envoie un signal. Ce que tu portes dis des tas de choses de toi, sans même que tu ais besoin d'ouvrir la bouche. C'est la première chose que l'on découvre de toi. C'est un peu ta carte d'identité.
- Vraiment ? Tu crois vraiment a ce genre de conneries ? Pouffa Lemie.
- C'est toi qui a tort de ne pas y prêter plus d'attention.
- Très bien. Alors qui je suis ? Demanda la jeune femme, en tournoyant pour qu'Oli puisse bien s'imprégner de ce qu'elle portait sur son dos.
L'invitée n'avait pas pour but de blesser la jeune femme, mais puisque c'était elle qui avait posée la question, elle n'avait aucune raison de se limiter dans ses propos. Elle décrivit le jean noir que portait Lemie comme vieillot. Pour elle, il était évident que cela faisait au moins une décennie que ce style était passé de mode. Mais Oli enfonça le clou en parlant de son pull de la même couleur, sans personnalité et de sa veste crème, certes pratiques grâce aux multiples poches, mais qui avait sans doute été acheté lorsque Lemie avait quelques kilos de plus, vu l'espace qu'elle y avait à l'intérieur. Pour autant, le descriptif n'en disait pas long sur la personnalité de Lemie, qui en attendait davantage pour confirmer la théorie d'Oli.
- Quand je te regarde, habillée ainsi, je vois une jeune femme paumée, qui ne se connait toujours pas. Pas bien dans sa peau. Incapable de voir ses qualités, tout en ayant le sentiment de maîtriser la question des défauts parfaitement. Je vois une fille seule, très seule, que la vie a sans doute malmenée, à moins que tu ne t'en sois chargée toi même. Je vois quelqu'un qui a envie de hurler, pour qu'on la voit enfin, mais qui fini toujours par se taire, parce qu'être remarquée est encore plus effrayant que d'être invisible.
- Arrête, ça suffit. Interrompit Lemie.
La jeune femme n'en pouvait déjà plus de l'analyse que venait d'entreprendre Oli. Cette dernière qui semblait en avoir beaucoup à dire encore, mais qui conserva le reste de son avis au fond d'elle. Oli avait bien senti qu'elle avait un peu heurtée son hôte. Mais pas question de culpabiliser. Quand on demande aux gens d'être honnêtes, on ne peut pas s'étonner qu'ils le soient. Sans la moindre transition, Oli attrapa un haut rouge, et le brandit sous le nez de Lemie.
- Tu devrais essayer ça. Lui conseilla t elle.
Afin d'éviter toute discussion, Lemie le pris et se dirigea vers une cabine d'essayage, à la chaleur étouffante. Elle retira son pull, dont elle constatait, pour la première fois, qu'il n'avait rien de très élégant, comme l'avait suggéré Oli, et passa le haut rouge sur elle. En ouvrant le rideau bleu, elle se découvrit dans un miroir. Cela changeait tant de choses, qu'elle en avait presque du mal à se reconnaître.
- Alors, prochaine étape, les cheveux ? Lança Oli, en ricanant.
Lemie, toujours un peu blessée de ce qu'elle avait entendu quelques minutes plus tôt, ne réagit pas. Mais elle ne pouvait nier ce fait : elle était très différente ainsi, sans pour autant être quelqu'un d'autre. Pour Oli, l'affaire était pliée, ce haut ferait à présent parti du quotidien de son hôte. Celui ci et d'autres, qu'elle pris soin de choisir également. Rhabillée de la tête aux pieds, Lemie sortit du magasin, se félicitant d'avoir su jouer le jeu, même si cela ne lui fut pas facile à chaque instant. Toujours perturbée par les propos d'Oli, elle prenait soin de ne rien dire et restait comme perdue dans ses pensées.
- Tu m'en veux ? Demanda Oli.
- Je devrais ?
- Qui mieux que toi pourrait le savoir ?
- Il y a parfois des mots que tu dis, dont tu n'as pas conscience qu'ils peuvent être blessants. Répondit Lemie, avec beaucoup de franchise.
- Je suis ravie de te l'entendre dire.
- Pourquoi ça ?
- Car pour une fois, tu as dit ce que tu pensais réellement, au moment où tu l'as pensé. Tu évolues. C'est une bonne chose.
Lemie comprit que si Oli la malmenait, depuis le début, ce n'était que dans l'unique but de lui ouvrir les yeux sur elle même. C'était peut être à ça qu'une amie servait. Comment aurait elle pu le savoir ? Elle n'avait aucun point de comparaison pour confirmer sa théorie. Mais se bercer de cette potentielle illusion était plus douce que jamais. Oli ne lui voulait pas de mal. Elle voulait au contraire l'aider à s'épanouir enfin, pensa Lemie.
Sur le chemin du retour, les deux jeunes femmes n'échangèrent pas davantage. Pourtant, quelque chose avait changé. Lemie avait pris conscience de l'impact que pouvait avoir Oli sur elle. Plus fort encore, elle semblait à présent convaincue que cette relation ne pourrait que lui faire du bien, dans la destruction qu'elle lui apporterait. Car il était évident que sa nouvelle amie allait la démolir. Voilà pour la première fois depuis son déménagement, que Lemie trouvait ce qu'elle avait tant cherché. Une façon de s'éteindre, sans mourir, afin de renaître, autrement. Pouvoir devenir quelqu'un d'autre, tout en occupant le même corps. Ne plus se contenter d'être invisible, mais devenir réelle, aux yeux des autres, aux siens.
De retour dans l'appartement, Oli mis une option pour occuper la salle de bain en première. Lemie ne chercha pas à discuter, elle avait quelque chose à écrire. Elle attrapa son pinceau, et jeta la peinture sur l'une de ses toiles, comme incapable de résister à cet étrange besoin.
"Se détériorer progressivement est vain. Il faut accepter de se démolir, pour savoir si l'on aura la force de se reconstruire."
Ses mots, c'était Oli qui les lui avait inspiré. Ce n'était pas la première fois qu'elle écrivait à son sujet. Mais on était bien loin du temps où son invitée lui faisait ressentir de la déception. Maintenant, elle savait que cette déception était nécessaire. Oli avait ceci de different des autres, qu'elle avait commencé en lui montrant la pire part d'elle. Ses zones d'ombres. Sans chercher à lui révéler ses qualités, qu'elle avait étonnement pris soin de camoufler derrière son attitude désinvolte. Si Oli s'était montrée si décevante, alors, tout ce qui allait suivre ne pourrait être que meilleur, pensa Lemie.
Jusque là, le monde entier de la jeune femme avait toujours tenté de se dévoiler progressivement. Chaque être humain qu'elle y avait croisé, s'était joué d'elle. Montrant d'abord ses bons côtés, sa gentillesse, sa douceur. Parfois même, sa capacité à se montrer présent, protecteur. Et puis, au bout de quelques mois, ou dans le meilleur des cas, quelques années, ils avaient tous fini de la même façon sordide. Cette phase ou l'on découvre enfin le véritable visage de ces anges que l'on croyait avoir sous les yeux. Leurs premières colères, leurs premiers mensonges, leurs premières manifestations d'égoïsme. Tout ça, Lemie se l'était toujours pris en pleine face, à un moment donné de son existence. C'est ainsi qu'elle en était venue à se réserver le droit d'être enfin seule, jamais déçue. Oli avait donc bien bouleversé ses plans, et lui avait montré, dans un même temps, que tout le monde n'était peut être pas pareil.
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L'Appartement
Conto"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".