Lemie marcha jusqu'au bâtiment où elle vivait. Elle fit une pause devant la porte blanche. Elle tenait dans sa main droite son trousseau de clé, mais l'idée de pénétrer à l'intérieur des lieux la glaçait. Et si Oli était là ? Et si elle ne l'était pas ? Elle ne sut définir quelle option elle aurait préféré. Après cette courte pause, elle s'engouffra dans le couloir, laissant se refermer violemment la porte derrière elle, emportée par un courant d'air.
Un pied devant l'autre, elle avança jusqu'aux escaliers. Plus elle approchait de son appartement, plus sa respiration se coupait. Le vieil homme avait raison, c'était une sorte de prison. Soudain, la jeune femme manqua une marche, et dévala toutes celles qu'elle avait déjà grimpée. Arrivée en bas, son dos sur le sol, elle observa le plafond de l'entrée, et se mit à éclater de rire. Le ridicule de la situation lui fit à nouveau penser au SDF. Si elle avait bien compris ce qu'il avait tenté de lui dire, deux options se proposaient à elle. Soit se souvenir d'avoir grimpé ces escaliers, et d'en avoir chuté. Soit se souvenir qu'après être tombée, elle les aurait montée à nouveau. La victoire, après l'échec.
Ce fut une sorte de prise de conscience pour la jeune femme. Pour accepter certaines situations, il valait mieux les regarder depuis leur fin. Débuter par la douleur, pour se rappeler du bonheur. L'inverse n'étant pas supportable, dans bien des cas. Cette révélation la fit instantanément arrêter de rire. Elle voulut confirmer la théorie, et pour se faire, elle dût se redresser, et reprendre sa montée des marches. A mesure qu'elle avançait, sa chute lui semblait de plus en plus insignifiante. Le résultat était là : elle se trouvait enfin sur son palier. La première pensée qui fut la sienne à ce moment, fut qu'Oli ne devait pas être là. Ou alors, la jeune femme brillait d'un calme sans nom.
Lemie ouvrit la porte de son appartement, en ayant perdu tout espoir de voir son amie surgir de nul part. Et comme dans ce qu'elle pressentait, il ne se passa strictement rien. Oli n'était plus là. Elle avait simplement laissé du vide. C'en était à se demander si elle avait bien été là, un jour. Lemie finissait par en perdre tous ses repères. Elle ne savait plus. Ni pourquoi elle avait tant de souvenirs qui s'étaient enfuit, ni pourquoi elle espérait à ce point le retour de son invitée. Elle ne savait même plus quel jour l'on était, depuis son tragique accident irréel. Car plus les heures défilaient, sans pour autant qu'elle en ait pleinement conscience, plus son trouble devenait plus clair. C'était un cauchemar. Cette chambre d'hôpital n'avait pas existé. Pas plus que son étonnante envie de se foutre en l'air. Car si Lemie était cassée, voilà de quoi elle aurait été incapable. Il faut du courage pour en finir avec soi, et du courage, elle en manquait cruellement.
Seule chez elle, Lemie se rendit dans son salon. Elle eut soudain l'étrange sensation de le découvrir pour la première fois. Jusque là, c'était Oli qui l'avait investi de sa présence. En effet, Lemie n'en avait jamais réellement profité. Elle ne s'y était que très peu attardée, en partie parce qu'il était déjà occupé, la plupart du temps. Voilà qui lui donnait une preuve de l'existence d'Oli. Si celle ci n'avait pas été là, Lemie n'aurait jamais eu à éviter son propre salon. Cette seule pièce d'un appartement qui évoque autant de souvenirs. Dans celui ci, elle en avait pourtant très peu. Mais alors, se dit elle, si Oli était bien là, en ces lieux, il y a quelques jours encore, où était elle partie ? Pourquoi l'avait elle fait sans laisser de trace ? Pourquoi l'avait elle abandonnée, comme tous les autres ? Pourquoi lui avait elle accordé un début de confiance, si c'était pour finir ainsi ?
<< Confiance >>. Elle se répéta ce mot dans sa tête, jusqu'à ce que celui ci n'ai plus le moindre sens. Quand elle réussit à lui faire perdre toute sa valeur, sa définition, sa richesse, son existence, Lemie sentit qu'il était temps de retourner dans sa chambre. Elle s'y rendit d'un pas rapide, ouvrit la porte, sans prendre la peine de la refermer, pour la première fois. La solitude a aussi ses avantages. Elle s'empara d'un pinceau qu'elle plongea dans un peu de peinture noire, et inscrivit une nouvelle phrase. Ces mots étaient pour elle, pour sa vie, pour ces gens, pour Oli. Celle là même qui lui avait parlé de risques, de choix, de trahisons.
<< Je n'ai plus confiance >>
Ainsi, Oli était passée du statut d'amie, à la vie à la mort, à celui de traîtresse. Dire que dans son cauchemar, elle s'était inquiétée pour elle. Son abandon ne pouvait pas ne pas laisser de traces.
Les heures passèrent encore. La jeune femme ne fit même plus attention à la lumière du jour, à l'obscurité de la nuit. Elle oubliait de manger, de dormir, de vivre. Sa vie se résumait à tourner en rond, sans rien voir de ce foutu temps qui, lui, ne l'attendait jamais pour avancer. Plusieurs jours passèrent dans cette énergie du rien, du vide, de l'inexistant, sans la moindre nouvelle d'Oli. Jamais.
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L'Appartement
Conto"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".