Soudain, les yeux de Lemie se posèrent sur sa fenêtre. Elle constata que la nuit était tombée. Encore une journée qu'elle n'avait pas vu passer, pensa t elle, malgré ses rebondissements indéniables. Elle se sentait fatiguée, épuisée. Il était plus que temps, pour elle, de dormir. Ou du moins d'essayer. Elle se glissa dans ses draps en jetant un dernier coup d'oeil sur ce qui l'entourait. Cela faisait maintenant plusieurs mois qu'elle avait emménagée ici, sans pour autant avoir pris la peine d'améliorer ce cadre. Sans lui avoir donné une réelle existence, une âme. Dans sa chambre, son lit était la pièce maîtresse de décoration, si l'on en oubliait la chaise qui servait de dressing à ses vêtements chiffonnés, mal pliés, froissés, voire en boules, qui trônaient dessus. Aux murs, ses toiles, ses mots, ses détresses et ses prises de conscience. Le tour était ainsi vite fait. Il n'y avait rien d'autre pour attirer son oeil. Cette chambre était tout, sauf accueillante. L'endroit parfait pour son projet, qui devait toujours rester secret, en l'état. Mais si ce vide était, jusque là, effrayant, soudain, il lui parut rassurant. Elle s'y sentait bien. Plus sûre d'elle. Moins perdue. Elle savait que c'était une sorte d'illusion, mais cela la réconfortait, alors ça n'avait pas vraiment d'importance.
Elle éteignit la lumière, et ferma les yeux, bercée par mille et une pensées. Bonnes. Mauvaises. Et le bruit de sa respiration. Inspirer. Expirer. Jusqu'à ne plus rien entendre. Ne plus rien ressentir. Lemie ne sut pas très bien si elle avait fermé l'oeil l'espace d'une seconde, ou si elle avait réussi à sombrer quelques heures, dans un véritable sommeil profond. Elle ne pensa même pas à regarder son horloge. De toute façon, dans cet appartement, le temps était un peu cassé. Elle ne savait jamais l'heure qu'il était. Jamais si l'on était le jour, la nuit, sans regarder par sa fenêtre. Son retour à la réalité lui fut inspirant. Mais pas pour son projet. Non. Elle voulait à son tour donner une leçon à Oli. Lui montrer qu'elle avait réalisé un millier de choses durant cette pause d'esprit. Lui prouver qu'elle aussi, pouvait vivre, s'emporter, se laisser porter. Exister.
Elle se leva, toujours vêtue de son jean sale et de son pull rouge. Elle n'avait même pas remarqué qu'elle s'était allongée dans cette tenue. Puis elle retira son bandage de fortune. Celui qu'Oli lui avait fait. La plaie n'était pas jolie, mais au moins, elle ne saignait plus. Elle sortit de sa chambre, et entra dans le salon où Oli était assise, à regarder le petit écran de télévision de Lemie, un reportage animalier dont seule la nuit a le secret. Compagnon ultime des insomniaques. L'invitée ne fit pas vraiment attention à la présence de son hôte. Elle ne remarqua même pas que celle ci était en train de fouiller dans les poches de sa veste.
- Mais où les as tu mise ? Interrogea Lemie.
- Quoi ? De quoi tu parles ? Et que fais tu à fouiner dans mes affaires ?
- Tes clés de voiture.
- Pourquoi veux tu mes clés ? Tu as le permis au moins ?
- Arrête avec tes questions, et donne moi ce trousseau. Je te prête un toit gratuitement, tu peux bien faire ça pour moi en échange.
L'argument de Lemie était difficilement discutable. Oli attrapa donc son sac à dos, posé près d'elle, sur le canapé, et en sortit le précieux sésame, qu'elle tendit à son hôte.
- Bien ! Suis moi maintenant. Ajouta Lemie.
Oli ne tenta même pas de savoir où voulait l'emmener la jeune femme. Elle la suivit aveuglément. Pour une fois qu'elle prenait des initiatives, elle ne voulait en rien freiner son élan. Pourtant, au fond de son esprit régnait encore le récent souvenir de Lemie, devant son miroir brisé, recouverte de sang. La simple idée que la jeune femme ai pu décrocher à ce point de son propre esprit, aurait pu effrayer Oli. Mais il n'en fut rien. Elle marchait dans ses pas, convaincue que si Lemie l'avait invitée à le faire, c'est qu'elle avait un objectif précis. Pourquoi douter quand il n'y a aucune raison apparente ?
Ensemble, elles arrivèrent aux abords de la voiture, toujours aussi abîmée. Elles s'installèrent en inversant totalement les rôles. Ainsi, Lemie s'assit du côté conducteur, laissant la place du mort à Oli. Le cendrier du véhicule était plein à craquer, si bien que l'odeur de mégots froids prenait au nez de Lemie. Elle n'y pensa qu'un instant. Elle allait s'habituer, c'était sûr. Elle mit le moteur en route, et se dirigea vers la même route où son invitée l'avait emmenée, quelques temps plus tôt. Comme elle, elle se mit à l'entrée du chemin, toujours sans marquage, toujours entouré d'arbres et toujours un peu lugubre, effrayante. Avant de se lancer dans une conduite folle, Lemie prit soin de reproduire ce dont elle se souvenait de cette excursion, et éteignit les phares sans prévenir.
- Que fais tu ? Interrogea Oli, la voix inquiète.
- Et bien, je fais ce que tu m'as dit. Je prends des risques.
- Tu ne devrais pas faire ça.
- Et pourquoi donc ? C'est bien toi qui me l'a appris.
- A la différence que je connais cette route. Que je suis capable de la faire les yeux fermés. Je sais où elle débute et où elle se termine. Ce n'était que pour t'aider à comprendre le message, pas pour te pousser à en faire autant. Expliqua Oli.
Lemie préféra ne pas répondre. Pourtant, cette fois, ce n'était pas par manque de mot, mais bien parce qu'elle était décidée à aller au bout de l'idée qu'elle avait en tête. Elle commença à appuyer sur l'accélérateur. Son coeur s'emporta. Le moteur criait. Ses pupilles se dilatérent. Puis elle relâcha le frein à main, en prenant une grande bouffée d'air. Sa route débutait, aux côtés d'Oli, visiblement peu rassurée. Lemie ferma alors les yeux, pour que l'expérience soit complète. La voiture roulait à vive allure, et zigzaguait dans tous les sens. A gauche, puis à droite, de nouveau à gauche, encore et encore. Il ne manquait pas grand chose pour se foutre dans le décor. Mais la jeune femme ne redoutait plus d'y perdre la vie, et même en sentant la voiture lui échapper, elle n'ouvrit pas les yeux, et ne décélérait pas. Il lui fallait aller jusqu'au bout, et ce, même s'il fallait faire fi de l'angoisse de son invitée.
- Fais attention. Tu frôles de près les arbres. Souligna Oli, la voix tremblante et moins sûre que jamais.
- Ce n'est pas ce que tu aimes ? Un peu de frissons.
Oli n'eut pas le temps de répondre, ou de prier pour s'en sortir. Tout allait tellement vite. Le décor défilait sous ses yeux sans qu'elle n'y voit plus rien. Elle connaissait cette route, mais sa vision se flouta, au point de la faire se sentir totalement perdue. Et soudain, ce fut l'impact. La voiture venait de faire la rencontre d'un immense tronc, qui venait de la faire plier aussi simplement qu'une feuille de papier. D'abord ce fut un son assourdisant, puis plus un bruit ne résonnait. Le silence. Juste le silence. Lemie et Oli furent plongées dedans, ensanglantées, peut être déjà mortes.
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".