Se réveiller pour revenir du côté des vivants n'a rien de facile. Et quand Lemie ouvrit les yeux, une nouvelle fois, ce fut dans la confusion la plus totale. Au départ, elle pensa être dans une hallucination, sans doute causée à cause des médicaments qu'on lui injectait. Puis, sa vue devint de moins en moins trouble, de plus en plus nette. Ce n'était juste pas possible. Ce plafond, celui qu'elle voyait au dessus d'elle, n'avait plus rien de blanc immaculé. Plus aucun bip ne venait troubler le silence qui régnait. Elle tenta de parcourir la pièce du regard, sans oser bouger. Autour d'elle, tout était là, ses toiles, sa chaise pleine de vêtement, sa fenêtre sans rideau. Tout, il ne manquait rien.
Prise par le doute que la situation injectait dans son esprit, elle tenta de redresser son corps. La sensation lui fut étrange. Comment se pouvait il qu'après lui avoir refusé le moindre mouvement, il se laissait se tortiller ainsi ? << Si ce corps là avait souffert, ce n'était pas dans un accident de voiture >> pensa t elle. C'était comme sil n'avait jamais ressenti la moindre défaillance. Comme si tout ce qu'elle avait vécu n'était pas arrivé. Mais à partir de quand ? Lemie leva la main, et vit le bandage de fortune que lui avait fait Oli, lors de la rencontre fracassante qu'elle avait faite contre le miroir de la salle de bain. Etait ce à ce moment là que là que la réalité s'était arrêtée ? Plus tôt ? Plus tard ?
Enfin, elle se mit debout, un peu hésitante sur ses jambes tremblantes. Ses yeux se posèrent sur ce mot : << Trahison >>. C'était le dernier qu'elle avait noté, elle s'en souvenait parfaitement. << ça, au moins, ce fut réel >> se dit elle. C'était peut être d'ailleurs là, précisément à ce moment que tout s'était figé. Quand elle avait fini par s'allonger, encore toute habillée, au creux de son lit. Il n'y avait qu'une option possible. Qu'une seule personne capable de lui dire si elle avait tout inventé, ou si quelque chose avait bien eu lieu. Elle quitta sa chambre, et s'empressa de rejoindre le salon où elle était sûre de retrouver Oli.
En arrivant dans la pièce, il n'y avait rien. Du moins, personne. Et surtout aucune des affaires de son invitée. Plus de veste. Plus de sac. Le vide absolu, en dehors du pauvre mobilier dont disposait Lemie. La confusion n'en fut que doublée. La jeune femme se mit alors à courir. Dans sa précipitation, elle n'alluma pas la lumière du couloir, et manqua de s'effondrer au milieu de celui ci, trébuchant sans raison. Elle entra dans la salle de bain, où elle découvrit le miroir brisé, son sang un peu partout, et peut être celui d'Oli. Mais cette dernière n'était pas là. Et aucune trace ne pouvait assurer à Lemie qu'elle y avait bien été un jour.
Puis, elle quitta la salle de bain, et retourna jusqu'à sa chambre, avec bien moins d'entrain, moins d'empressement. Assise sur son lit, elle ne sut plus très bien quoi penser. Ce cauchemar avait l'air si réel. Et si c'en était bien un, pourquoi Oli était elle absente ? Et si cela n'en était pas un, comment expliquer son retour à la maison ? Seule qui plus est. Ce fut impossible à comprendre pour elle.
Dans un dernier espoir de retrouvailles, Lemie sortit à nouveau de son sanctuaire, et se dirigea jusqu'à l'entrée de son appartement. Elle ouvrit la porte de celui ci, verrouillée à double tour. Elle sortit sur le palier, et jeta un oeil vers la porte de sa pièce extérieure. C'était ridicule. Lemie le savait, Oli ne pouvait pas être là. Pourtant, il fallait qu'elle en ai le coeur net.
Elle inserra la clé dans la serrure, la tourna, et en ouvrant la porte, rien n'avait changé. Tout était là comme au premier jour. Toujours cette chaise abîmée, cette malle, cette crasse. Tout était resté figé, comme un tableau qu'on n'oserait pas modifier. La seule chose qui fut évidente, était l'absence, encore, d'Oli.
Lemie retourna alors dans son appartement, le pas lourd, comme on se traînerait pour aller à l'abattoir. Dehors, il faisait jour. Le temps avait une nouvelle fois passé, sans qu'elle ne s'en aperçoive. La jeune femme décida d'aller voir aux alentours, arpenter les rues, découvrir ce qu'il y avait encore à découvrir, trouver quelqu'un, Oli peut être. Elle attrapa son manteau et enfila ses chaussures, puis elle se lança dans ce qu'elle visualisait déjà comme une nouvelle croisade.
Sa route la mena tout droit au parc pour enfants. Celui dans lequel elle s'était égarée, quelques mois plus tôt. Celui où elle avait assisté à la fin d'une histoire. C'était l'endroit parfait pour faire un arrêt, lui sembla t il. Spontanément, et parce qu'il était libre, elle se dirigea vers le banc sur lequel elle était déjà assise la fois précédente. Il était froid, presque humide, mais il ne semblait attendre qu'elle. Elle s'installa et prit le temps de regarder ce qui l'entourait. De la poubelle remplie à rabord, jusqu'au toboggan qui se trouvait juste derrière elle, tout fut passé en revue. Puis, au loin, le spectacle lui fut incroyable.
Voilà qu'après tous ces mois écoulés, le temps semblait avoir faire un bond en arrière. Sur ce banc en face, le même couple. Les mêmes amoureux déchirés. Ceux qui se vomissaient des insultes au visage, impatients d'en finir l'un de l'autre. Les mêmes, mais différents. Cette fois, ils ne se quittaient plus. Ils se tenaient la main. Se lançaient des regards langoureux, plein d'amour.
Il n'était, de toute évidence, plus question de se détester, de s'abandonner, de se renier. Les sourires qu'ils se lançaient en disaient long sur la profondeur de leurs sentiments, autrefois perdus. Ce fut magnifique de les voir ainsi s'aimer, mais aussi un peu triste. Il était manifeste que ces deux là ressentaient de véritables choses, l'un pour l'autre. Mais c'était tragique qu'ils aient dû se déchirer à ce point, pour seulement s'en souvenir. Les yeux rivés sur eux, Lemie en oublia totalement la discrétion dont il est mieux de faire preuve, dans ce genre de cas. Le couple ne mit pas longtemps à remarquer sa présence, mais cette fois, ils n'eurent pas envie de s'en aller. Comme on déteste montrer nos horreurs, on adore étaler notre bonheur. Finalement, de voir tout cet amour émaner de ces deux là ne fit pas se sentir mieux Lemie, que lorsqu'elle avait assisté à leur séparation. Gênée, c'est elle qui décida de s'éloigner.
Cette rencontre n'avait, évidemment, rien résolu du mystère de la disparition d'Oli. Pourtant, Lemie ne perdit pas espoir, ce qui ne lui ressemblait pas. Peut être que la vision du couple, de cette histoire qui s'était bien terminée, l'avait plus apaisée qu'elle ne l'imaginait. Elle poursuivit ainsi sa route. En arpentant toujours les rues, la jeune femme se laissa bercer par le paysage, qui n'était pas des plus jolis, mais qui était devenu le sien. Les maisons se ressemblaient toutes. Toutes étaient parées d'une façade aux couleurs crèmes. Il n'y avait aucune âme ici. Pas d'histoires que ces bâtiments auraient pu raconter. Rien qui aurait été intéressant. Où pouvait bien être allée se cacher Oli, dans un tel endroit ? Soudain, l'idée lui vint. Et si son invitée était partie investir sa voiture, pour en faire un modeste lieu de vie ? D'un pas décidé, la jeune femme se laissa porter jusqu'à l'emplacement où Oli avait l'habitude de se garer.
Mais, arrivée à l'endroit précis ou sa carcasse lui permettant de se déplacer aurait dû se trouver, rien. Qu'une place vide que personne d'autre n'avait prise, comme pour laisser le champ libre à Oli de revenir, quand bon lui semblerait. Ce n'était pas encore le moment pour elle, tout simplement. Elle allait revenir, c'était certain. Lemie ne pouvait en douter. Ce n'était pas possible autrement.
Lemie reprit sa marche. Elle n'était pas loin de son appartement, mais l'idée d'y retourner et de céder à un nouveau coup de fatigue, qui la propulserait comme ailleurs, ne l'enchantait guère. Soudain, elle entendit une voix d'homme l'appeler.
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L'Appartement
Short Story"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".