Alors qu'elle en était à cette réflexion, Oli frappa à la porte de sa chambre.
- Lemie ? Tu es occupée ? Demanda t elle.
Lemie sortit de la chambre, en prenant soin de ne pas ouvrir trop grand la porte, pour ne rien dévoiler du contenu de la pièce. Le fait de constater qu'Oli ne chercha même pas à jeter un oeil, donna le sourire à la jeune femme. Elle avait enfin compris, de toute évidence. Il semblait qu'une notion de respect s'était installée entre les deux jeunes femmes.
- Ça te dirait qu'on passe la soirée ensemble ? Demanda Oli.
Lemie se souvenait de toutes ces soirées passées en sa compagnie, et elle n'en avait pas forcément gardé un goût des plus agréables. Alors, Oli, consciente de l'hésitation de son hôte, ajouta :
- Je propose une soirée entre filles. Ce soir, on reste ici. On discute, on s'invente, on se raconte des histoires.
Lemie fut surprise de la proposition de la jeune femme. Il n'était pas dans ses habitudes de rester calme, à un endroit précis. Séduite par l'idée, elle accepta dans la foulée. Ensemble, après s'être servit un verre de leur brevage habituel, elles s'installèrent dans le salon.
- Alors, de quoi veux tu parler ? Lança Lemie.
- On va faire un jeu.
- Un jeu ? Quel genre de jeu ?
- Le principe est simple. A partir d'une vérité, tu dois créer un mensonge. Expliqua Oli.
- Je ne comprends ni l'intérêt, ni les règles.
- Et bien, par exemple, je te pose une question sur ton passé, et l'histoire que tu dois me raconter doit être au départ réelle, et finir romancée. Sauf que tu dois faire en sorte que je ne remarque pas à quel moment tu es sortie de la réalité.
Lemie vit plus clair dans les attentes d'Oli, mais elle ne voulait pas se risquer à être la première à rendre sa vie fictive. Elle décida alors de poser une question, pour débuter.
- Qu'y a t il dans ta malle ? Demanda t elle.
Oli ne fut pas surprise par la question, et son sourire en disait long à ce sujet. Elle se lança alors dans son récit, avec une aisance implacable.
- Très bien ! Alors allons y. Tout d'abord, il faut savoir que cette malle était déjà ici quand je suis arrivée. Je n'ai jamais vraiment su d'où elle venait au départ, ni si elle appartenait à mon amie, ou à quelqu'un ayant occupé les lieux avant elle. Après tout, cet endroit a dû voir passer un paquet d'âmes avant que tu ne t'y trouves toi même. D'ailleurs, je ne me suis jamais vraiment posée la question. Mais, à l'intérieur, il y a des vérités.
- Des vérités ? Ça ne se contient pas dans un coffre. Interrompit Lemie.
- Que tu crois ! Ton esprit n'est il pas une sorte de malle qui renferme mille secrets ?
- Ce n'est pas comparable.
- Le jeu ne pourra pas se poursuivre si tu ne me laisses pas raconter cette histoire.
- Excuse moi. Je t'en prie, continue.
- Donc, elle contient des vérités, une clé ainsi que mon salut. Acheva Oli.
- Une clé ? La clé de quoi ? Et ton salut ? Que veux tu dire par là ?
- Le jeu n'implique pas d'entrer dans les détails. Tu as déjà posé ta question, j'y ai répondu.
- Ce jeu est stupide. Souligna Lemie.
- Ce n'est pas parce qu'il ne t'amuse pas, qu'il n'est pas bien.
- Quel est l'intérêt de se raconter des mensonges ?
- Très bonne question ! Quel est l'intérêt de se raconter des vérités ? Demanda Oli.
- Et bien, la vérité fait loi. Il n'y a qu'elle qui vaut la peine d'être énoncée.
- Vraiment ? Alors pourquoi passons nous notre temps a mentir, si la vérité est si merveilleuse ?
Lemie fut troublée, comme à son habitude. Mais elle n'était en aucun point d'accord avec Oli sur la question. Pour elle, la sincérité signifiait quelque chose. A tel point qu'elle ne rêvait que de ça. D'un jour pouvoir être enfin transparente. Pas inexistante comme elle pouvait l'être, mais bien transparente aux yeux qui se poseraient sur elle. Comme une énorme entité démunie de mystère. Elle voulait simplement ne plus avoir à jouer un rôle. Ne plus jamais être celle que l'on attendait qu'elle soit, mais elle, tout simplement. Alors, elle ne pouvait accepter l'idée d'Oli, qui tendait a dire que le mensonge était et devait être le seul maître sur cette terre.
- J'ai dit quelque chose qui t'a froissée ? Demanda Oli.
- Non. C'est juste que je ne partage pas ton avis.
- Et selon toi, qui de nous est la plus nombreuse ?
- Je ne comprends pas ta question. Répondit Lemie.
- Et bien, tu penses qu'il y a plus de gens qui pensent comme toi, ou comme moi ?
Si la question méritait d'être posée, Lemie ne put y repondre. Tant à cause de sa désolation à ne pouvoir affirmer que la majorité la suivrait, que pour le fait qu'une fois encore, Oli avait pris le dessus sur elle. La jeune femme decida alors d'abandonner ce que son invitée osait appeler un jeu, pour rejoindre sa chambre, pretextant être fatiguée.
Allongée sur son lit, elle ne cessa de repenser a ce que venait de lui dire Oli. Et si celle ci avait raison ? S'il était impossible de rencontrer une seule personne en ce monde qui soit totalement honnête avec elle ? Si cela était vrai, alors Lemie devrait se préparer à se lever des milliers de fois, la boule au ventre, dans l'avenir. A se rendre au travail après s'être cachée derrière un sourire, afin de jouer le jeu, et d'être, elle aussi, dans le mensonge. Pire, elle imaginait le nombre de fois où elle serait contrainte de répondre "oui" alors qu'elle aurait préféré dire "non", juste pour ne pas heurter ses interlocuteurs, faisant d'elle, une fois de plus, une menteuse, comme le reste du monde.
Sa réflexion la poussa à se souvenir du nombre de fois où elle avait accepté de faire des choses, dans l'unique but de préserver l'humeur d'une autre personne qu'elle. Et là, elle ne pouvait plus le nier. Oli avait raison. Elle vivait bien dans un monde de mensonges, et en usait comme n'importe qui.
Elle comprit alors que tous ces faux semblants n'étaient, en réalité, pas destiné aux autres, mais toujours à soi. Presque obligatoirement. C'était bien pour cela qu'elle s'oubliait si souvent. Pas pour ne pas blesser les autres, mais pour s'éviter l'atroce refrain de la culpabilité qui peut se propager à une vitesse folle et démesurée.
Jusque là, Lemie se nourrissait de l'espoir qu'un monde de vérité pouvait exister. Elle imaginait les autres honnêtes à son égard. Elle les rêvait transparents, comme elle rêvait de l'être elle même. Elle ne voulait pas de ses histoires que l'on travestit, juste pour qu'elles passent mieux. Qu'elles soient plus jolies à raconter, à partager, à recevoir. Elle se refusait à ces diverses modifications, qui pouvaient rendre une histoire aussi éloignée de son origine, que la lune peut l'être du soleil. Elle se sentait suffoquer à nouveau. Comme une récente habitude à laquelle elle ne pouvait échapper.
C'est alors qu'elle attrapa un pinceau, et les yeux noirs de colère, tout comme l'âme déchirée, elle inscrivit quelques mots supplémentaires.
"Tout ceci n'est que mensonge."
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L'Appartement
Nouvelles"La solitude, autant qu'on peut la vouloir ou l'espérer, sonne comme un abandon quand elle s'éternise un peu trop".